Hugo Chavez tenait sa conférence annuelle sur la situation générale du Venezuela, le 30 décembre 2009… et puis un écran noir siglé Youtube. Cette vidéo mise en ligne le 25 janvier 2010, dans un billet, « Hugo Chavez et le séisme à Haïti : manipulation et polémique. Comment naît une rumeur », sur ce blog, démontrait que les images — privées de son —, diffusées par Russia Today, n'étaient que des images d'archive. Quant au commentaire de la journaliste russe, il n'était que pure invention. Il prêtait au président vénézuélien des accusations portant sur l'implication des Etats-Unis, qui, à l'aide d'armes sismiques, à la suite de manœuvre navale, auraient provoqué le tremblement de terre d'Haïti.
Or, cette semaine, cette vidéo a disparu de tous les sites et les blogs dont celui-ci (Harry Fandor) ainsi que sur le site latinreporters.com (« Haïti : Etats-Unis auteurs du séisme !? Chavez ne l'a pas dit, mais… »), site qui, par ses informations, nous avait mis sur la piste.
On constate partout le même phénomène. Plus rien, même en cherchant bien. Pour la simple et bonne raison que le fournisseur, Youtube, l'a fait disparaître.
Malveillance ? Complot ? Il est vrai que l'on devient vite sujet à la paranoïa avec ce qui se déroule parfois sur Internet.
Non, fausse alerte, rien que de très normal selon les règles de Youtube. Mais les prolongements politiques, voire géostratégiques, ne sont pas exclus de ce mini-événement, comme nous le verrons dans un autre billet.
En effet, après une rapide enquête, on constate que Youtube, qui ne serait, comme son nom l'indique, qu'un « tube » au sens français du terme, et au figuré, « un tuyau », a supprimé la vidéo.
Sur l'écran noir, nous pouvons lire « supprimer à la demande de l'utilisateur ». En l'occurrence, l'utilisateur n'est pas celui qui l'utilise — c'est-à-dire celui qui en fait usage — mais celui qui est à l'origine de la mise ligne. Ici, RCTV (Radio Caracas Televisión), une chaîne de télévision résolument anti-Chavez et propriété d'un riche homme d'affaire vénézuélien, Marcel Granier.
Première conséquence : la suppression de ces images nuit à la démonstration, à sa qualité, à son équilibre, puisque cette vidéo permettait, par sa juxtaposition avec les images de Russia Today, de révéler la supercherie. Une manipulation initiale certainement partit du journal conservateur espagnol ABC. Un bel exemple de fake.
Une image manque et tout redevient sujet à caution.
Pourquoi cette vidéo-ci ? Inutile de se perdre en conjecture.
Que l'on se rassure. La vidéo a été retrouvée sur Youtube — encore et toujours — par une mise en ligne de TVZL (Venezolana de television), la chaîne publique vénézuelienne. Le journal télévisé revient sur la conférence du 30 décembre 2009.
Lire à partir de 45 secondes et sporadiquement au long du sujet qui dure 10 min 30 et qui propose un commentaire sur les déclarations de Hugo Chavez. Pour les hispanophones.
La guerre médiatique entre Hugo Chavez
et Marcel Granier
Ces deux-là se détestent et s'affrontent déjà depuis plusieurs années.
Dernière bataille en date, le 24 janvier 2010. RCTV disparaissait des écrans vénézuéliens à la suite des accusations de Diosdado Cabello, directeur général de la Conatel (commission nationale des télécommunications vénézuélienne) d'infraction à la législation du pays et de la loi de responsabilité sociale en radio et télévision (« Ley Resorte »).
En effet, une loi stipule que les chaînes nationales du Venezuela ont l'obligation de diffuser les discours et allocutions du président Hugo Chavez (disposition connue sous le vocable « cadenas »).
Ce que s'est refusé à faire RCTV. Car, RCTV émet depuis Miami, via le câble, et se considère comme une chaîne internationale. Caracas lui oppose que dans la mesure où, au moins 70 % de ses programmes hebdomadaires sont produits localement, elle peut être considérée par la loi comme une chaîne nationale.
Soulignons que RCTV s'est imposé, de longue date, comme une chaîne populaire, ne serait-ce que par la diffusion de ses telenovelas (productions vendues dans près de cinquante pays).
Les cablo-opérateurs, eux-mêmes menacés de sanction par les autorités, l'ont donc retiré de leurs bouquets. Ce qui a instantanément entraîné des heurts violents entre pro et anti-chavistes dans les rues.
Avec RCTV, cinq autres chaînes de télévision ont subi le même sort : Ritmo Son, Momentum, America TV, American Network et TV Chile.
Mais, dès le début février 2010, elles retrouvaient leur autorisation d'émettre. Sans que l'interdiction ne soit levée pour RCTV. Les anti-chavistes crient à la censure.
Marcel Granier (ci-contre) homme d'affaire puissant, à la tête d'un groupe de média et de communication, Empresas 1BC (chaînes de télévision, radios, label discographique, chaîne nationale d'une vingtaine de magasins de produits culturels, dvd et cd — Recordland ...) reste, et sa puissance et son opposition résolue à Hugo Chavez le désignent comme tel, dans la ligne de mire de Hugo Chavez.
Depuis au moins avril 2002, date du coup d'état anti-Chavez qui avait porté pour… 48 heures à la tête du Venezuela, Pedro Carmona, Hugo Chavez ne lâche plus Marcel Granier.
Il l'accuse d'avoir attiser les sentiments anti-chavez de la population, au moment de son renversement d'avril 2002, et surtout d'avoir joué un rôle prépondérant dans le putsch en diffusant des informations erronées et de s'être comporté de façon anticonstitutionnelle.
Hugo Chavez est de longue date en guerre contre les médias privés qu'il accuse d'incarner et de diffuser la vision de l'oligarchie vénézuélienne. Ainsi des trois autres chaînes : Globovisión, Televen, Venevisión.
De retour au pouvoir, après l'échec de son renversement, Hugo Chavez annonce qu'il ne renouvellera pas la licence d'émettre par voie hertzienne de RCTV. Cette licence arrivait à échéance en mai 2007. Depuis la chaîne émettait sur le câble et continuait de marteler son anti-chavisme.
Quant à Marcel Granier, il ne lâche pas prise et se bat sur le terrain juridique. Il a redéposé un dossier afin d'exciper de la nature internationale de sa chaîne devant la Conatel et attend, par ailleurs, la décision de la chambre constitutionnel de la Cour suprême.
Voci le point de vue de Marcel Granier, interrogé dans Médias par Ben Ami Fihman. « Marcel Granier : "le patron de l'information s'appelle Hugo Chavez" » . Robert Ménard, directeur de la rédaction du journal et du site (revue-medias.com) après avoir été secrétaire général de Reporters sans Frontière, n'a jamais ménagé ses critiques sur la façon de gouverner de Hugo Chavez, tout comme il s'était toujours affirmé anti-Castro.
Parallèlement, Hugo Chavez diffuse sa parole à travers l'écrit « La línea de Chávez », mais aussi d'émissions de radio comme « Aló Presidente » ou, depuis le début février 2010, « Repente con Chávez » (« Soudain avec Chavez »), qui pourrait, dans l'esprit, se traduire par une sorte de besoin de réagir à chaud, d'être éruptif. Le choix du titre de l'émission n'est donc pas anodin puisque Hugo Chavez réagit quand bon lui semble et imprime son rythme à l'émission.
Le putsch, y penser sans le dire, quoique…
Enfin, pour mieux comprendre l'enjeu de cette bataille, qui semble dépasser la question de censure/pas censure, il faut se placer dans le contexte vénézuélien actuel qui fait que, par exemple, Noel Álvarez, à la tête de la Fedecámaras (la principale organisation patronale du pays) évoque, très calmement et très habilement, sur RCTV justement, le 21 janvier 2010, interrogé par Miguel Ángel Rodríguez, que la solution pour le Venezuela est la « solución militar » (« la solution militaire »). C'est-à-dire constituer un front (frente) contre l'hégémonie du gouvernement de Hugo Chavez. Mais cela se dit comme sans être vraiment dit. Comprendra qui le voudra les implications et les conséquences attendues dans un pays où un putsch est toujours possible.
Solution qui semble exciter le journaliste Miguel Ángel Rodríguez qui ajoute — nous sommes à la fin de l'entretien — « solución militar, excelente ».
Depuis, Diosdado Cabello, ministre et directeur de la Conatel, a engagé des poursuites pénales contre le journaliste-vedette de RCTV, Miguel Ángel Rodríguez, « pour incitation au coup d'état ». Miguel Ángel Rodríguez se défend, par des contorsions, en invoquant une erreur d'interprétation, car il s'agissait, dans ses propos, d'engagement, non pas militaire mais civique, voire civil.
Noel Álvarez interviewé par Miguel Ángel Rodríguez pour RCTV.
Ecouter "solución militar" à environ 2 mn 14.
Ecouter "solución militar" à environ 2 mn 14.
Lire la suite sur le contexte politique et diplomatique latino-américain de plus plus tendu par la présence accrue de l'armée états-unienne dans la région. Avec, pourrions-nous dire, comme un parfum d'hydrocarbure. « Bruits de bottes et de flotte en Amérique latine »
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