17/12/2009

roulette de casino, qui veut gagner des millionsPresse en crise. Qui ramassera la mise ?

Revenus publicitaires
en chute libre, lectorat aux abonnés absents, business model introuvable (?), timidité dans l'innovation, plans de départs et de licenciements, des dizaines de titres qui disparaissent, sans compter les fermetures de sites sur le Web. Presses papier et online subissent de plein fouet la dépression économique. Mais au bout du compte, les empires du secteur, en pleine restructuration, pourraient bien, à terme, ramasser la mise… s'il reste quelques choses à ramasser. Quelques pièces du dossier d'un monde en mutation.

Une période fatidique pour les médias

Dans un billet précédent, nous pointions, en cette fin 2009, la triste séquence qui affecte les pure players français et étrangers d'info et la disparition de certains comme soitu.es.
Toutefois, en paraphrasant La Fontaine, si la crise frappe l'ensemble des médias, tous ne meurent pas… ou pas encore.

En effet, dans ce contexte tendu, avec des perspectives de croissance générale atone
le siège du groupe italien Mondadori, près de Milanpour 2010 (officiellement +0,75 %) les grands groupes plurimédias et/ou multimédias, à l'inverse des pure players, détiennent encore les moyens économiques de temporiser. C'est, en tout état de cause, ce qu'ils essayent de faire. Avec comme outil utile, les licenciements. Ceux-ci jouent à plein leur rôle de variable d'ajustement.

A cet égard le groupe italien Mondadori (ci-dessus, son siège près de Milan), dirigé par Marina Berlusconi — la fille du président du conseil italien — offre un bon exemple.
La famille Berlusconi via sa holding Fininvest contrôle 50 % du groupe Mondadori.

Après deux années difficiles (2008-2009), avec des bénéfices en berne (pour les neuf premiers mois de 2009 -54 %) le recul des investissements publicitaires… Mondadori prévoit de diminuer ses effectifs en Italie de 21%. L'objectif est la suppression d'environ 600 postes d'ici à la fin de 2011.

couverture du magazine GraziaLa France n'est pas épargnée. En effet, Mondadori France, qui gère une trentaine de titres, restructure, depuis au moins 2008, en supprimant tous ses titres dit de « niche ». Le groupe après s'être débarrassé, au cours des deux premiers trimestres de 2009 de quatre titres, a annoncé, en novembre, la fin de FHM et La Revue du son et du home cinema, c'est-à-dire une suppression cumulée de 35 postes (source Stratégies). Et cela, bien que le lancement dans l'hexagone de son hebdomadaire Grazia soit un succès. Avec une diffusion entre 180 000 et 200 000 exemplaires par semaine en moyenne (selon un communiqué du groupe italien) et des recettes publicitaires supérieures aux attentes — 33 pages de publicité pour un objectif initial de 20 pages par numéro (Source Stratégies) — Grazia a donc réussi pour l'instant son implantation en France. Mondadori France souhaite désormais se recentrer sur les « formules gagnantes ».

Série noire USA
couverture des magazines américains Mediaweek, Backstage, Billboard, Film Journal International et The Hollywood Reporter
Des titres qui disparaissent d'un trait de plume sur des bilans comptables (parmi ceux-ci beaucoup de journaux régionaux américains Rocky Mountain News à Denver, Seattle Post-Intelligencer de la Hearst Corporation…), des groupes autrefois solides comme Tribune Company qui édite, entre autres, le Los Angeles Times et The Chicago Tribune a dû, fin 2008, se mettre sous la protection de la loi sur les faillites avec une dette s'élevant à 13 milliards de dollars (en novembre 2009, la société demandait au tribunal un sursis, n'étant toujours pas sorti du rouge), les problèmes récurrents de l'illustre Boston Globe, qui a lancé en novembre 2009, une nouvelle offre en ligne : Bostonglobereader.

Les faire-part de décès s'accumulent pour la presse papier des Etats-Unis, pays où une longue et prestigieuse tradition journalistique est ancrée. Et il faut bien remarquer que tout un monde disparaît sous nos yeux, celui de la presse des XIXe et XXe siècles. En effet, la majeure partie de ces journaux américains qui ferment est née, il y a plus d'un siècle.

Et puis symbolique, toujours des Etats-Unis,
la nouvelle nous parvient que le groupe Nielsen Business Media a conclu un deal avec e5 Global Media, dont James Finkielstein devrait prendre la présidence début 2010. Cette nouvelle entité sera constituée conjointement par les fonds d'investissement Pluribus Capital Management et Guggenheim Partners. Ce dernier gère des actifs sous supervision s'élevant à 100 milliards de dollars. Nielsen cède, à cette occasion, quelques-uns de ses fleurons de la presse de divertissement et de business pub : Adweek, Brandweek, Mediaweek, Backstage, Billboard, Film Journal International et The Hollywood Reporter.

couverture du magazine américain Editor and PlublisherQuant à Kirkus Reviews, revue centrée sur les livres, fondée en 1933 et Editor and Publisher (édition papier et site Internet), journal de référence pour les professionnels de la presse et de l'édition, qui ne faisaient pas partie du paquet cadeaux (« cadeaux » à 70 millions de dollars, si l'on en croit certains journaux) ils ferment purement et simplement. Editor and Plublisher disparaît après 125 ans d'existence. Autant dire que des titres de presse aux mains d'un hedge fund, cela n'augure rien de bon. D'ailleurs la stratégie déclarée de e5 Global Media est d'inscrire ces titres, qui sont autant de marques reconnues et leader dans leur domaine, dans une offre diversifiée et globale.

Car le deal comprend aussi l'achat de the Film Expo business (ShoWest, ShowEast, CineAsia, et Cinema Expo International), société qui regroupe parmi les plus prestigieux et importants congrès, marchés et salons professionnels autour du business du cinéma aux Etats-Unis et en Asie (pour la distribution des films américains sur le marché asiatique). En Asie,
Guggenheim Partners est présent à Singapour, Hong-Kong et Mumbai.
Les contenus des différents journaux seront mutualisés avec la mise en place d'une plate-forme commune et rendus payants sur le net. e5 Global Media Print parie sur le développement digital, mobile et « évènements ».
e5 Global Media possède maintenant les principaux journaux d'entertainment américain (production d'infos et de contenus) et les débouchés commerciaux pour le même segment. La boucle est bouclée.


La convergence, un gros mot ?

D'autres, moins ambitieux, ou à plus faibles capitaux, se tournent vers la convergence. Est-ce un gros mot ? En tout cas c'est tendance dans la presse. Une réponse à la crise ? Si la question n'est pas récente, pour de nombreuses entreprises de presse, en effet, une des solutions passe par la convergence. C'est-à-dire la fusion des rédactions papier et Web afin d'établir des passerelles entre les deux modes de communication mais aussi comme solution attrape-pub… et comme allègement de la masse salariale.

Depuis plusieurs années, aux Etats-Unis, des poids lourds du secteur l'ont entreprise (Los Angeles Times, New York Times). En cette fin 2009, c'est au tour des rédactions du Washington Post de converger. En 2005, on se souvient des bisbilles entre les deux rédactions papier et web du Post. Le mouvement ne fait que s'accélérer.

En France aussi ça fusionne. Les Echos voient converger ses rédactions papier et Web après que la direction et les syndicats ont trouvé un accord. Désormais, les journalistes travailleront indifféremment pour tous les supports, avec une reconnaissance du droit d'auteur. C'est l'aboutissement d'une restructuration qui avait débuté en novembre 2008 et qui selon Nicolas Beytout (Pdg de DI group, pôle média de LVMH) devait s'inscrire dans un plan de développement avec pour objectif une croissance de 50 %. On voit ce qu'il en est un an plus tard.

Ironie de l'histoire: dans le même temps, le propriétaire des Echos, Bernard Arnault (LVMH) mandatait la banque Nomura pour vendre le titre, au plus tard dans un an et demi. Même si dans la foulée, un des porte-parole du groupe a démenti l'information.

De fait, les syndicats, comme le SNJ, qui se félicitaient de l'accord, risquent de déchanter avant peu. De nouveaux licenciements devraient intervenir dès 2010.


La convergence, est-elle la panacée ?

Pas sûr répondent les journalistes américains. Des objections apparaissent au sein des rédactions. Car la convergence suppose le rapprochement de deux prés carrés, avec le retour de l'ancestrale querelle des « anciens » et des « modernes ». Les « anciens », venus du papier et fidèles aux techniques journalistiques qui lui sont inhérentes, ne sont pas prêts à abandonner leurs prérogatives aux « modernes», qu'ils ont tendance à considérer, avec condescendance, à peu de chose près comme des techniciens. Les choses évidemment ne sont pas si simples, mais c'est le choc des cultures.

Il faut lire l'excellente enquête de Joe Strupp sur la fusion des rédactions papier et digital sur le site d'Editor and Publisher. « When Will a Web Editor Lead a Major Newsroom? »
On y apprend par exemple que les deux responsables du site Web du Washington Post, Jim Brady et Ju-Don Roberton ont quitté successivement leur fonction car ils considéraient que la convergence des rédactions entraverait la ligne éditoriale et l'innovation sur le Web. Car au fond la question qui parcoure l'article est : « So who has authority ? » Et il ne s'agit pas que d'une question d'ego, mais simplement de savoir comment on veut exercer son métier de journaliste.
Cory Tolbert Haik, rédactrice adjointe à seattletimes.com
Dans le même article d'Editor and Publisher, Cory Tolbert Haik (ci-contre), rédactrice en chef adjointe à SeattleTimes.com, précise amusée, mais pas tant que ça :
« J'ai obtenu une place à la table […] mais la question reste toujours "Qui conduit le bus ? " Ce qui prime c'est le point de vue du print. La conférence de rédaction tourne toujours autour de ce que l'on va imprimer et quelles seront les infos que l'on va diffuser le lendemain dans la version papier. Le site vient en deuxième position, voire en troisième. »
Mais le point de vue des rédacteurs venus du papier trouve aussi sa place dans l'enquête d'Editor and Publisher. Comme celui de Jonathan Landman, qui a supervisé la convergence au sein du New York Times, et qui déclare en substance que le Web est encore est un médium jeune et qu'il aurait été difficile de trouver quelqu'un, venu du Web, assez apte pour diriger le New York Times.

L'artillerie lourde des groupes multimédias

Qui ramassera la mise ? Personne ne peut le prophétiser. Mais tout le monde veut sa part.
Les groupes médias sortent donc l'artillerie lourde, avec des combinaisons financières et des
jetons de casino pour les gagnants réorganisations propres à laminer les indépendants du Net : convergence papier-Web et regroupement des rédactions, convergence nécessaire pour servir les plateformes numériques plurimédias… Acquisitions dans des secteurs complémentaires, avec de formidables moyens pour arroser tous azimuts (mobile, TV, bientôt Kindle et autres Plastic Logic…) et attirer les compétences.

On ne voit pas comment, dans ce contexte, les pure players de l'information pourraient résister.
Un précédent : se souvient-on encore de ce qu'il est advenu de l'espoir qu'avait fait naître l'ouverture des ondes par François Mittterand. L'espoir que cela avait suscité pour certains de pouvoir informer et divertir autrement ? Nada. C'était au siècle dernier, il n'y a pas si longtemps, juste au début de 1980.


Car, si l'offre accrue de services, sur des terminaux de plus en plus différenciés, paraît être une voie d'avenir, il faudra bien alimenter tous les terminaux et autres plateformes numériques en plein développement. Ou bien l'intérêt des groupes se portera ailleurs, ailleurs que sur l'information et les contenus, et serons-nous alors condamner à lire des dépêches à flux tendu, ou du contenu sémantiquement vide mais optimisé pour le référencement ? En somme, une info délivrée sans décryptage, sans mise en perspective, pour un lectorat déjà conditionné par les gratuits distribués dans le métro ou la rue.


La crise, une « divine surprise » ?

Au fond, il se pourrait que cette dépression économique soit une « divine surprise » pour certains patrons de groupe média. Car l'impression générale qui se dégage, au moins à court terme, est que cette dépression, qui touche non seulement la presse et l'information en général, mais aussi et surtout l'ensemble de la société, offre aux groupes de presse, et devrait-on dire, plus largement, à tous les secteurs de l'économie, l'opportunité de restructurer à « moindres frais » et de faire le ménage. Occasion en or d'éliminer, par exemple, les titres peu ou pas rentables, licencier les journalistes sans que personne ne se mobilise ou réagisse, imposer de nouvelles manières de travailler (encore un peu plus de flexibilité, « tous Mojo »)… Et finalement de décider la mort du papier, car la rentabilité passe désormais par d'autres tuyaux et par la dématérialisation.

une montagne de dollars
Fort heureusement, ou malheureusement, beaucoup de patrons de presse, mais aussi des politiciens, des hommes d'affaires, des publicitaires n'ont pas encore tout à fait bien compris le monde digital dans lequel nous sommes entrés.
Ils s'ingénient à penser les questions en fonction des anciens mass média (TV, radio, journal papier…). D'où cette détestation exprimée de façon caricaturale par Jacques Séguéla : « Le Net est la plus grande saloperie qu'aient jamais inventée les hommes.» Le pépé de la pub nous fait une « vieillesse nerveuse », comme aurait dit feu Matthieu Galais.


Cela laisse encore un peu de temps pour les contrer, eux qui veulent imposer des règles obsolètes à un monde qu'ils ne comprennent pas, sinon par la lorgnette de leurs intérêts immédiats. Comme d'ailleurs à chaque fois qu'il y a eu une révolution technique et des nouveaux modes d'expression.


Le mot de la fin à l'« Oracle d'Omaha »

Warren Buffet en couverture du magazine FortuneEn mai 2009, celui que l'on surnomme l'« Oracle d'Omaha », et accessoirement une des deux premières fortunes mondiales, Warren Buffet, actionnaire du Washington Post, et homme qui se piquait d'aimer la presse, prophétisait des pertes sans fin pour la presse américaine, pour laquelle, pensait-il, du point de vue économique, il n'y avait que des questions sans réponse.
Thank you Mister Buffet.

07/12/2009

fermeture de soitu.es, site d'information en ligne espagnolLe site espagnol, Soitu, passe du sommet au gouffre

Soitu.es recevait, le 3 octobre 2009, le prix du meilleur site d'information hors langue anglaise à San Francisco. Ce prix décerné par l'ONA (Online News Association), principale association américaine de journalistes en ligne, consacrait pour la deuxième année consécutive un pure player inventif qui avait su conjuguer qualité de l'information et participatif. Et puis le 27 octobre 2009, la nouvelle tombait : soitu.es cessait de diffuser.


Du zénith au nadir

Soitu.es — qui avait en un peu moins de deux ans, a réussi à créer une vraie communauté autour lui, jusqu'à un million et demi de visiteurs uniques par — n'est pas passé du zénith au nadir en quinze jours. La crise couvait depuis plusieurs mois sur fond de dépression économique mondiale.


La BBVA (Banco Bilbao Vizcaya Argentaria), actionnaire de référence, à hauteur de 49 % — le reste étant détenu par les rédacteurs — et soutien du site depuis ses débuts en 2007, menaçait depuis le krach de l'été 2008 de quitter le navire. Ce qu'elle ne finit pas faire qu'au printemps 2009.
Restaient alors, à soitu.es, les revenus publicitaires (800 000 euros par an). Mais ceux-ci, vite insuffisants, placent le site en grande dépendance. Particulièrement, dans un climat marqué par l'effondrement des investissements publicitaires sur le Web. La direction du site se résout alors à licencier une quinzaine de salariés sur trente-huit. Mais les dés sont jetés et roulent… jusqu'à ce funeste 27 octobre 2009.


Précisons que la BBVA, fondée au Pays basque, loin d'être une petite banque de province, se classe comme le deuxième groupe bancaire d'Espagne et d'Amérique latine et le premier au Mexique via sa filiale Bancomer (source Wikipédia).

gumersindo lafuente, rédacteur en chef de soitu.esLes raisons de l'échec

Dans son dernier édito (repris dans la version online d'El Pais), le jour de la fermeture de soitu.es (27 octobre 2009), Gumersindo Lafuente (ci-contre), son rédacteur en chef, ancien patron de la rédaction du site du quotidien madrilène El Mundo et figure du journalisme ibérique, revient, en forme de mea culpa, sur ce qui a achoppé, en particulier avec son bailleur de fonds, BBVA : « Nous avons eu, dès le départ, le soutien de notre actionnaire de référence, BBVA, sans qui ce rêve n'eût pas été possible. Puis il ajoute, or nous n'avons pas su, dans les derniers mois, convaincre notre partenaire que les projets qui naissent dans un secteur immature et en pleine croissance nécessitent en période de turbulence, de la patience pour trouver leur place.»

Il aura donc manqué du temps à Soitu.es, pour s'imposer, et la capacité de convaincre les financiers qu'un des meilleurs sites d'info d'Espagne détenait à la fois le potentiel et les atouts humains et techniques pour réussir, pourvu qu'on lui en laisse le temps.

salle de rédaction de soitu.es
La rédaction
de Soitu.es





Le temps est une denrée hors de prix. Le monde de la finance, gouverné par une avidité entropique, ignore le mot « patience ». Le retour sur investissement doit être à deux chiffres et quasi-immédiat. « Time is money » n'est pas qu'un poncif du globish pour grands débutants. Dans le monde digital, à l'instar de celui des « atomes », une marque — a fortiori pour des sites d'information —, si elle n'existe pas préalablement, doit bénéficier de temps pour s'imposer. Même si les avis divergent quant à la durée, trois à quatre années paraissent le minimum.


Pure players en voie d'asphyxie ?

Soitu.es est un cas exemplaire de pure player qui, pour ne pas avoir mené une politique de diversification — mais en a-t-il eu le temps ? — s'est retrouvé prisonnier d'une seule source de revenu, la publicité. Publicité à la fois en voie de raréfaction, crise oblige, mais aussi soumise à l'attentisme et au manque d'imagination des publicitaires tétanisés sur des campagnes display inadaptées.

Partout les pure players recherchent des solutions, institutionnelles et/ou individuelles. Ainsi en octobre 2009, anticipant le décret d'application d'une disposition de la loi Hadopi reconnaissant, enfin, le statut d'éditeur en ligne, les principaux représentants des pure players français (Arrêt sur images, Bakchich, Indigo Publications, Mediapart, Rue89, Slate.fr et Terra Eco), rejoints depuis par une trentaine de sites, se sont regroupés au sein du Spiil (Syndicat de la presse indépendante en ligne) afin de faire valoir les droits des pure players auprès de la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) comme tous les autres organes de presse.

L'action du Spiil porte, en particulier, sur la reconnaissance professionnelle des journalistes qui travaillent sur le net et sur les avantages juridiques et économiques dont devraient bénéficier les éditeurs de presse en ligne (
par exemple la baisse de la TVA de 19,6 à 2,1 comme pour la presse papier).
Et puis, en ligne de mire, la cagnotte de vingt millions d'euros qui doit être attribuée, sur trois ans, au titre de l'aide publique à la presse en ligne. Autant dire que tous les éditeurs fourbissent leurs armes.

Sur le plan individuel, des sites explorent des pistes. Par exemple Rue89, partenaire dès l'origine de Soitu.es, recherche comme beaucoup un modèle économique viable en se diversifiant (et en recapitalisant) : produire et fournir du contenu payant, concevoir des sites web et vendre son expertise, développer des partenariats (exemple avec Quebec89).
Mais le site reste économiquement
fragile et n'atteint pas encore le point d'équilibre, tout comme la majeure partie de ses confrères.

Le cas français. Une sombre fin d'année 2009

En cette fin 2009, qu'a-t-on appris ?

Le 2 novembre, Carlo Revelli, un des fondateurs d'Agoravox lançait un appel aux dons sous peine de devoir fermer le portail d'informations participatif et citoyen.
la une du n° 11 de bakchich hebdo
Le 9 novembre, après l'échec (vente de 12 à 15 000 exemplaires, au lieu des 25 000 prévus, pour un tirage de 35 à 40 000 exemplaires [1]) de son journal papier, Bakchich Hebdo, lancé en septembre 2009 (la Une du n°11 de décembre 2009, ci-contre), le site Bakchich se déclarait auprès du tribunal de commerce de Paris en cessation de paiement. Le tribunal de commerce plaçait la société en redressement judiciaire. Le premier trimestre 2010 pourrait être décisif pour Bakchich, qui compte sur de nouveaux investisseurs et l'aide des lecteurs (création du Club des amis de Bakchich, avec pour marraine la comédienne Isabelle Adjani) et un seuil à atteindre de 15 000 exemplaires pour Bakchich Hebdo. De quoi tenir jusqu'à l'éventuelle aide de l'Etat.
[1. Chiffres de diffusion difficiles à vérifier, tant ils changent d'une source à l'autre.]

Début décembre, on apprenait que lepost.fr, appartenant au groupe Le Monde était à vendre. Les rumeurs qui circulent évoquent quelques repreneurs déjà sur les rangs : Pierre Chappaz (Wikio), Pierre Bergé (le patron myopathe en colère) associé à Jacques Rosselin (Vendredi) et Rentabiliweb (le fiasco de la distribution d'argent sur les Champs-Elysées).


A méditer la conclusion du billet-hommage à Soitu.es de Pierre Haski sur Rue89 :
« Dans le même temps, les nouveaux médias Internet expérimentent différents modèles économiques dans un secteur où il n'en existe aucun ayant fait ses preuves et dans un contexte de récession. La mort de Soitu.es montre que tous ne réussiront pas, même si Internet incarne l'avenir de l'information. »

un logo de soitu.esUn signal inquiétant pour les innovateurs

Soitu.es n'a pas démérité. Mais l'inquiétude naît du fait que ce site de qualité, fondé sur un concept séduisant, « l'intelligence collective », conçu et animé par des professionnels, à la créativité reconnue par ses pairs et les infonautes au-delà de ses frontières, reconnu comme un des meilleurs d'Espagne, voire du monde, soit ainsi balayé.
Mauvais signal envoyé à ceux qui voudraient faire preuve d'innovation aussi bien technique qu'éditorial et rester dans la course.


Pas de larmes mais du rhum et de la vodka

E
nfin, dans l'édition en ligne d'El Pais du 27 novembre 2009, Delia Martinez, dans un billet titré « RIP Soitu.es, un funeral festivo » nous rassurait sur l'ambiance : « Pas de pleurs, pas de larmes, juste des gâteaux, des paquets de cacahouètes et des chips, du bon rhum et de la vodka. »

Donc pas de tristesse. D'ailleurs, on annonce la naissance de deux nouveaux sites espagnols : Factual et FronteraD.

Les animateurs du site font preuve pour leur départ du même humour que pour le lancement du site.

Leur vidéo d'adieu ci-dessous : « Españoles, soitu ha morto ».



Lire aussi : Rue89 finaliste des Awards du journalisme Web à San Francisco
Rue89 battu par Soitu.es aux Awards de la presse online à San Francisco
soitu.es dit adieu à ses lecteurs

24/11/2009

couverture du livre un jour comme un autre de bertil scaliYann Moix s'enflamme pour le premier livre de Bertil Scali. Fallait pas.

Dans une chronique parue dans le Figaro littéraire du 20 août 2009, le romancier et réalisateur Yann Moix n'y allait pas de main morte dans le dithyrambe. Pour lui, deux livres exceptionnels paraissaient en cette rentrée littéraire 2009, comptant pas moins de 659 romans dont 87 premiers romans : Un roman français de Frédéric Beigbeder (Grasset) et Un jour comme un autre de Bertil Scali (édition Anabet). Sans oublier un « chef-d'œuvre » : Les aimants de Jean-Marc Parisis (Stock).

Le premier, Un roman français a reçu le 2 novembre dernier le Prix Renaudot 2009 et et les yann moixventes
approcheraient, selon l'Express, les 100 000 exemplaires. Le service comptable de Grasset se frotte les mains.

Yann Moix (ci-contre) a presque été exaucé, lui qui finissait sa chronique du Figaro littéraire par : « Donnez-lui le Goncourt et qu'on n'en parle plus ? Non. Donnez-lui à condition qu'on en parle encore. » Quant au second : Un jour comme un autre, qualifié rien de moins par Yann Moix comme « le plus beau premier roman de l'année », il a été emporté dans la crue livresque qui prévaut en cette saison.


Moix et ses copains


Bien que Frédéric Beigbeder et Bertil Scali soient des copains de Yann Moix — ceci explique cela — il fallait quand même aller voir ce qui enthousiasmait à ce point Yann Moix, qui a page ouverte au Figaro littéraire depuis un an, presque jour pour jour, et qui consacrait tout son feuilleton littéraire — « Un stylo et des larmes. » — du 3 septembre 2009 au livre de l'ex-éditeur Bertil Scali. De quoi s'interroger.

Yann Moix, fort actif en cette rentrée, vient de commettre Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson,
(devant tant de cynisme opportuniste on reste pantois), chez Grasset, comme l'ami Beigbeder, et un second film, Cinéman (sorti en octobre 2009).
Confirmation, après Podium (2004), que Yann Moix réalisateur sera aux années 2000 ce que Richard Balducci, Philippe Clair ou Claude Zidi et consorts furent aux années 1970, l'« humour » en moins, la prétention en plus.


Bertil ScaliAmour et cavalerie

Un jour comme un autre nous rappelle l'adage qui veut que les histoires d'amour finissent mal en général, mais que les maisons d'édition qui usent de la cavalerie aussi.

Le livre, autobiographique et à clé, s'ouvre sur un jour funeste pour Bertil Scali (ci-contre), un certain 16 septembre, date du dépôt de bilan des Editions Scali et du départ de Jeanne, sa femme, qui n'a rien trouvé de mieux que de le plaquer ce jour-là. En outre, Jeanne travaillait dans la maison d'édition.

Après cette « déflagration » initiale, Bertil Scali, quarante ans, nous raconte par le menu les menus événements qui ont fait la trame des derniers mois de leur vie commune sentimentale et professionnelle (désamour, soupçons, jalousie…), de sa vie post-dépôt de bilan mais aussi par flash-back de sa vie d'avant, de toujours, de la famille, des enfants, des amis…
L'auteur brosse une série de portraits (de gens connus ou inconnus) et aligne ses souvenirs comme autant de vignettes, parfois savoureuses comme ce périple vietnamien « lariamisé », ou franchement inintéressantes car à usage interne, et on l'imagine, purement cathartique. Certains stylos ont une encre anesthésiante.


En effet, trop souvent le récit languit, se perd dans les détails, s'enfonce dans des tunnels interminables, comme ce voyage en Californie avec ses deux enfants, Lou et Orson (comme sortis d'un catalogue Bonpoint), pour y retrouver sa mère. Sorte de notes jetées comme sur ces post-it collés sur le réfrigérateur, de peur d'oublier une partie des courses.

Name dropping

Et puis, au détour de certaines pages, l'intérêt s'éveille, trop rarement : on croise Gainsbourg rue de Verneuil, le pape Jean-Paul II à Cracovie, mais de loin, Issei Sagawa le Japonais cannibale, Belmondo et son magnétoscope, Anne-Marie Perrier et Jean-Dominique Bauby à la rédaction de Elle… Parfois cela ressortit de la pure énumération (on croirait entendre la chanson L'Aventurier de Dutronc-Lanzmann), de l'ébauche, et se révèle un peu fastidieux, comme si Bertil Scali voulait se convaincre de sa propre existence passée, se rassurer aussi sur sa vie présente, au travers de l'album d'instantanés alignant les figures qui ont jalonné son parcours de journaliste (VSD, Paris Match, Nova mag). Mais de l'auteur ou de l'album, ce qui nous intéresse alors, c'est moins Bertil Scali que les personnages ou personnalités rencontrés.

Et là, on reste un peu sur notre faim. On se plaît à imaginer quelle épice aurait pu relever ce plat un peu fade de la gastronomie littéraire neuilléenne — dont Frédéric Beigbeder est un peu le chef de file — ou quels ingrédients l'auraient rendu plus roboratif.

C'eût été, par exemple, de nous narrer, autrement que par allusion et fugitivement, les entrevues avec Richard Sète, derrière lequel on croit reconnaître Roger Théron, sétois d'origine et rédacteur en chef historique de Paris Match. Avec Roger Baron (Richard Branson, le patron de Virgin et ami de la famille), ou encore avec Hervé Boccador qui ressemble beaucoup à Hervé Mille, le journaliste, le bras droit du patron de presse Jean Prouvost, l'homme du Tout-Paris, qui fréquenta à peu près tout le monde dans le dernier demi-siècle.


Or, cela supposait un traitement moins évanescent et mondain que celui consistant à faire du name dropping dans un cocktail littéraire.


Allô maman bobo

Bertil Scali croise dans les eaux narratives d'un Eric Neuhoff et ses romans conjugaux. Tout cela est gentiment bobo, gentiment parisien.
Un peu indifférent, on éprouve le sentiment d'être le témoin des peines sentimentalo-professionnelles d'un gosse de riche qui se souvient, nostalgique, de sa jeunesse dorée (ce qui ne va pas sans quelques douleurs personnelles, quand par exemple, enfant, il assiste à la séparation de ses parents) et qui, a quarante ans, se réveille dans la peau d'un looser.
Un looser qui découvre l'existence des tickets restos et les horaires fixes d'un travail alimentaire, lui le dilettante plutôt habitué aux vacances dans le château familial aveyronnais, les week-ends à Val d'Isère ou à Deauville, les noubas chez Castel…


Contre-culture et quick-books
Patrick Eudeline
En quatre année d'existence, les éditions Scali ont publié quelque 200 titres (ce qui est beaucoup), en particulier autour de la culture urbaine et de la "contre-culture", avec un directeur de collection, le légendaire Patrick Eudeline (ci-contre), Patrick Rochechouart dans le livre, lui apportant en quelque sorte une « underground credibility ».

La maison affiche alors un catalogue avec de nombreux bons titres — dans un secteur plutôt délaissé par la « grande » édition — en particulier grâce à la collection dirigée par Patrick Eudeline et avant lui par Stéphane Million, qui a depuis créé sa propre maison.


La maison Scali se lance aussi dans le quick-book (ou fast-book qui sonne comme fast-food) et les coups éditoriaux : Carla et Nicolas, chronique d'une liaison dangereuse de Chris Laffaille et Paul-Éric Blanrue, ou Cht'is, on va ch'tout vous dire de Claire L'hoër.

Quick-book
: il s'agit de torcher en un tournemain un produit d'actualité (Sarkozy, Kerviel…) et d'inonder les librairies sur un court laps de temps. Ce type de quick-books a une durée de vie très limitée, limitée à la durée de l'attention que le public qui zappe de plus en vite d'un sujet à l'autre veut bien lui accorder.



Dépôt de bilan et retour aux paddocks

Une sorte de « cavalerie éditoriale » se met en place — publier de plus en plus de livres, toujours plus mauvais, de plus en plus rapidement, inonder les libraires via l'office, facturer… Mais bientôt, il y a de plus en plus de retour, il faut rembourser et pour éditer des livres, il faut de l'argent, etc. Et le système se casse la figure.
Notons que ce système est largement de mise dans le milieu de l'édition, les grandes maisons y recourent aussi.
Si cela permet de gonfler momentanément les rentrées financières, et de prolonger la fuite en avant, le contre-effet est de ruiner à la fois l'image de la maison et celle de l'éditeur. La « cavalerie » est toujours synonyme
de disqualification, au moins morale, et de retour aux paddocks pour les rosses de l'édition.

[voir le témoignage de Cristophe Dupuis, libraire
: «De l'office forcéBlog de Libération.fr]



Une attente déçue

On aurait aimé justement que Bertil Scali, lui-même fils d'éditeur, nous explique, autrement que par la crise (certes réelle), le pourquoi de cet échec, revienne sur la pertinence de ses choix éditoriaux contredit par le marché, les lecteurs; nous l'explique de l'intérieur, sans pour cela nous faire un cours, la précarité de l'économie du livre, sa vulnérabilité.
En l'occurrence, on aimerait comprendre comment une petite maison, réunissant deux ou trois salariés, a pu envisager de publier autant de titres.

Enfin, ce n'est pas le moindre des paradoxes, à la lecture d'Un jour comme un autre, on reste surpris du peu de place que la littérature et plus largement les livres occupent dans la vie de Bertil Scali telle qu'il nous la rapporte.


Autobiographie sur l'échec conjugal et professionnel — qui aura eu le mérite selon l'auteur, de lui permettre de « revivre » — Un jour comme un autre, s'avère un livre facultatif.

Autant en emporte la rentrée littéraire, quoi qu'en pense l'emphatique et enflammé Yann Moix, qui chronique après chronique nous rappelle qu'il est à la critique ce que le hard-discount est à l'épicerie fine.



A voir, à lire

Un portrait, plutôt favorable, de Bertil Scali éditeur par Anne Sophie Demonchy


édition, l'envers du décor par Martine ProsperPour comprendre les enjeux actuels de l'édition :
Edition, l'envers du décor, Martine Prosper, Lignes 2009


La chronique gratinée de Nanarland sur Cinéman, le film de Yann Moix






25/10/2009

WhiteOut le film: recyclage et autre copier-coller

Il y a des milieux – la mode, la pub, la chanson – pour lesquels la phrase de Lavoisier, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », semble être parfaitement adaptée. Preuve en est la sortie de WhiteOut de Dominic Sena (60 secondes chrono, Opération Espadon…), dont l’affiche française porte comme signature une phrase déjà lue ailleurs : « Dans l’Antarctique, personne ne vous entendra crier .» On en frissonne déjà, pas seulement de froid.

Cette signature ne vous rappelle rien ?

Souvenez-vous : 1979, le premier opus de la tétralogie de cette mère sévère venue de l’espace, Alien le huitième passager, réalisé par Ridley Scott dont c’était le deuxième film. Le premier, Les Duellistes, l'avait imposé d’emblée et lui avait permis d’entreprendre ce film de SF ambitieux, avec le concours graphique du grand Giger, qui allait devenir « culte ».
La signature, sur l’affiche du film, était une vraie trouvaille.

Pour les fans de la saga Alien

affiche du film alien le 8e passager
affiche du film whiteout

















Il faut préciser que le vilain copier-coller ne concerne que l’affiche française car la signature sur l’affiche américaine est :
« See your last breath. »


Des déclinaisons infinies pour les paresseux

Suggérons à nos amis les distributeurs en mal d'inspiration quelques déclinaisons.

Bien entendu, l’avantage de ce procédé est sa plasticité
:

Le Patient anglais
ou La Prisonnière du désert… : « Dans le désert, personne ne vous entendra crier
. » Pour les films Das Boot, Le Monde du silence… : « Sous la mer, personne ne vous entendra crier. » ou variante, pour Titanic : « Au milieu de l'Atlantique-Nord, personne ne vous entendra crier. »

Plus intellectuel, plus rive gauche. Durasien : « Dans Calcutta désert personne ne vous entendra crier son nom de Venise ».
Ad libitum.
A vous de jouer.

Comme me le disait récemment un pubard philosophe :
« Pourquoi réinventer l’eau tiède tous les jours ? » C’est ses clients qui doivent être contents.

07/10/2009

Rue89 battu par soitu.es aux Awards de la presse online à San Francisco

L’Online News Association américaine (ONA) a rendu son verdict le 3 octobre 2009 à l’issue de son congrès annuel. Elle attribue, pour la deuxième année consécutive, au site espagnol soitu.es son prix dans la catégorie Site généraliste d’information hors langue anglaise. Rue89, le seul site français en compétition, repart les mains vides, de même que le site argentin lanacion.com.


L’Online News Association américaine, la plus grande association de journalistes en ligne aux États-Unis – donc hautement représentative –, a primé le site espagnol soitu.es dans une catégorie dévolue par les Anglo-saxons… au reste du monde. Le directeur adjoint du site, Borja Echevarria, a reçu le trophée pour soitu.es, comme en 2008.

Toutes catégories confondues, le New York Times a été le grand vainqueur de ces awards. Ce qui n’est ni étonnant ni immérité. Parmi les autres primés : Washington Post, BBC…

La liste des sites couronnées par l'Online News Association



¿Habla español?

L’Espagne à donc le vent en poupe en matière de journalisme en ligne. Les deux dernières années, seuls les Espagnols ont été récompensés : soitu.es et elpais.es. L’espagnol, langue familière à de nombreux Américains d’origine hispanique ou non (près de 43 millions de locuteurs aux USA – source Wikipédia), peut expliquer en grande partie cette constance.

Mais les mérites de soitu.es sont réels. Le site, qui a fait le pari de la qualité en matière d’information tout en accordant une large place au collaboratif, avec des formats originaux, comme celui des correspondants internationaux pour la vida urbana, invente, expérimente, parfois avec un peu trop de profusion, tout en conservant une exigence sur le plan journalistique.


Comment obtenir un award ?

L’ONA motive l’attribution de son award à soitu.es en mettant en avant la politique très Web.2.0 du site, c'est-à-dire par l’importance qu’il donne au participatif, mais aussi par l’addition efficace d’informations exclusives et d’outils agrégatifs comme son module El Selector de Noticias. Cet agrégateur s’avère être ni plus ni moins qu’une revue du Web (en anglais et en espagnol) mais offre une vraie originalité du point de vue de l’ergonomie et de la mise en page.

Ce qui a déterminé l’ONA, c’est le mélange de journalisme traditionnel — le côté pro, qui respecte les usages de la profession — et l’utilisation d’outils spécifiquement Web pour aboutir à une formule qualifiée par l’association américaine de « fresh », tous éléments concourant à la création et au développement d’une authentique marque et à l’imposer comme telle.


soitu.es face à la crise économique

L’obtention de ce prix arrive opportunément pour soitu.es, car après moins de deux ans d’existence (créé à la toute fin 2007), la BBVA, la banque qui accompagnait le site depuis sa création, en tant qu’actionnaire minoritaire, le lâche. Ce pure player, qui n’est donc pas adossé à un journal papier, a dû déjà licencier une quinzaine de personnes sur les 38 employées, et ne peut plus compter que sur la pub comme source de revenus (800 000 euros en 2009).
Le contexte de crise économique étranglant un peu plus la rédaction.


Comme plusieurs pure players, soitu.es, qui s'est imposé comme un site de référence sur le Web en matière d’information, et qui a connu un développement fulgurant — en un peu plus d'un an soitu.es est passé de la catégorie small site à celle de site comptant plus d'1 million de visiteurs uniques par mois) fse trouve confronté à la fragilité de son modèle économique et doit trouver de nouvelles sources de revenue sous peine de disparaître.




Soitu.es et Rue 89, des « transfuges » rencontrent « des transfuges »

Adversaires finalistes des Awards de l’ONA dans la catégorie des sites de plus de 1 million de visiteurs uniques hors langue anglaise, soitu.es et Rue89 ont plus d’un point commun et se connaissent même plutôt bien.

D’un côté, des « transfuges » du site Web d’El Mundo (un des deux grands quotidiens espagnols, l’autre étant
El Pais
).

En effet, une quinzaine de journalistes ont quitté en bloc, en 2006, le site d’El Mundo car ils refusaient une reprise en main de la ligne éditoriale à leurs yeux trop droitière, mais aussi afin de contester les orientations managériales du directeur, Pedro J. Ramírez (dit Pedro J.).


A la tête de cette fronde, le rédacteur en chef, Gumersindo Lafuente, considéré comme une référence dans l’information sur le Web en Espagne et qui avait hissé le site à la première place des sites de la Péninsule. C’est cette équipe qui a formé le noyau dur de soitu.es, bientôt rejoint par d’autres journalistes.

De l’autre, Rue89, fondé quelques mois avant soitu.es, en mai 2007 par des « transfuges » du quotidien Libération : Pierre Haski, Pascal Riché, Laurent Mauriac (et des non-journalistes comme Michel Lévy-Provençal, qui a quitté le journal et blogue sous le nom de mikiane).


Fin 2007, dès le lancement de soitu.es, les deux rédactions ont signé un accord de partenariat portant sur un échange de contenu. A cette occasion, Borja Echevarria, le directeur adjoint de soitu.es, et ancien correspondant à Washington, s’est rendu à Paris afin de rencontrer la direction de Rue89 (photo ci-dessus).

Actuellement, la journaliste Elodie Cuzin, basée à Madrid, fait le lien en travaillant pour les deux sites et la « Selection de noticias » reprend des articles du site parisien.



Attaques contre la presse online

Cette joute entre les deux sites pour l'obtention d'un award de la presse online, joute finalement amicale sur fond collaboratif, change des querelles industrielles et autres coups fourrés des grands groupes de (de moins en moins) presse uniquement tournés vers la prédation, les fusions-acquisitions et les retours sur investissement à deux chiffres.

Et plus particulièrement, à un moment, où les médias traditionnels, paniqués, débordés, pensant avec des logiques inadaptées, attaquent le Web avec des arguments ressassés qui font rimer « Internet » avec « pas net » et « presse en ligne » avec « indigne ».



A consulter :
Rue89 finaliste des Awards de l'Online News Association

Eric Scherer (membre de l’Awards Committee et de l’International Committee de l'ONA et l’un des juges de des prix) sur AFP Mediawatch : Journalisme en ligne : Soitu et le NYT primés à San Francisco

Dans Rue89, 12 09 2009, Pierre Haski répond à ceux qui veulent faire « d'Internet, le bouc émissaire des lâchetés journalistiques ».


Pour le lancement de soitu.es début 2008, la rédaction a communiqué au travers d’un feuilleton en quatre petits films, d’un humour teinté de dérision, parfumé aux années 1970 et légèrement « brick and mortar ».
















19/09/2009

salle rédaction d'un journal onlineRue89 finaliste des Awards du journalisme Web à San Francisco

Le 31 août 2009, l’Online News Association américaine (ONA) a publié la liste des finalistes pour le titre de meilleurs sites de journalisme en ligne en 2009. Rue89 est le seul site français retenu, toutes catégories confondues. Il a pour concurrents dans la catégorie Site généraliste hors langue anglaise, lanacion (Argentine) et soitu (Espagne).

Du 1er au 3 octobre 2009,
lors de sa convention annuelle qui se tiendra à San Francisco, l'ONA (principale organisation de journalistes en ligne aux Etats-Unis) fêtera ses dix ans d’existence et attribuera ses Awards le jour de la clôture, le 3 octobre.
L'impétrant de la catégorie dans laquelle concoure Rue89 recevra un prix de 3 000 US$ (environ 2 000 €).

bannière de l'online news associationEnfin, on peut déjà avancé un pronostic : une catégorie n'aura ni gagnant ni perdant, celle de Blogueur (catégorie small site) puisqu'elle figure dans la liste des prix mais sans nommés. Ce qui est très surprenant et nécessiterait d'être expliquer par les organisateurs.

Un problème de moins pour les jurés parmi lesquels
siègera le Français Eric Scherer de l’AFP, membre du Awards Committee.

Les critères de sélection transparents de l’ONA

L’ONA organise l'attribution de ses Awards sur des critères quantifiables et sur la base d'usages professionnels précis qui renvoient à « la bonne pratique » du journalisme sur le web.
L'entreprise, louable de par sa transparence, mériteraient de faire un peu plus école, ne serait-ce que dans ce cher hexagone :


  • Plus d’un million de visiteurs uniques par mois
  • Respecter les standards de la profession de journaliste
  • Remplir une mission éditoriale avec un contenu de qualité
  • Servir avec efficacité son public
  • Optimiser l’utilisation des outils spécifiques au Web
  • User avec excellence :
de l'interactivité du rich media
de l’ergonomie
des outils communautaires (web.2).

Des critères qui ont l’avantage d’exclure une pseudo subjectivité à la française (le côté « artiste », si prisé par ici), qui recouvre d’un voile (pas pudique du tout) les petits arrangements entre amis lors des différents raouts « familiaux » que sont les remises de prix (César, Molière, Victoires de la Musique…).



Peu ou pas de sites français nommés par l'ONA

logo du site Rue89Si Rue89 figure dans le trio de finaliste dans sa catégorie, a contrario, on remarque l’absence des médias en ligne français, pure players ou bimédias.
En 2008, seul un site français avait été nommé par l’ONA
:
Blogtrotters, le pure player de Tristan Mendès-France et Alban Fischer.

A regarder de près la liste des sites retenus, les États-Uniens demeurent fidèles à eux-mêmes et à leur tropisme américano-américain, ou du moins anglo-saxon. Ils privilégient les sites de langue anglaise (même phénomène que dans le cinéma ou la musique) et laisse la portion congrue aux médias s’exprimant dans une autre langue, exceptée l’Espagnol, deuxième langue la plus pratiquée aux États-Unis, voire la première désormais dans certaines régions.
Est-ce un hasard
si El Pais et le pure player soitu.es, créé par des dissidents du bimédia El Mundo, furent couronnés en 2008. Ce qui ne retire rien à leur qualité et leur créativité de journaux en ligne.

Des médias français online frileux

Or, ce tropisme Etats-Uniens – cette vision américano-centrée – n'explique pas tout, même s'il est déterminant. Pas plus de médias allemands, italiens... ne sont à l'honneur.

En observant le paysages de la presse en ligne française, on peut avancer quelques explications sur l’absence de représentants français dans la liste finale des Awards de l'ONA.
Explication qui sont à chercher du côté de l'économique, bien sûr, mais aussi du côté du manque criant d'innovation, d'imagination et de freins culturels empêchant d'envisager tout le partie à tirer du foisonnement créatif du Web, et pas seulement sur le plan de la technophilie.
Sauf à reprendre, tel quel, ce qui a fait ses preuves ailleurs, à la manière des programmes TV français toujours à la traine de plusieurs saisons sur ce qui se fait outre-Atlantique.


Surtout absents de la liste de l’ONA, les médias traditionnels français (hebdos et quotidiens) qui diffusent sur la toile. Il faut croire qu’ils se révèlent peu inventifs, ou frileux, quant à l’usage par exemple des outils spécifiques du Web et du rich média en particulier.
Souvent ils continuent de penser print quant il faudrait penser Web.

Hors pure players, et encore, quel site d’information en France expérimente les nouveaux outils ou invente de nouveaux formats à la manière du New York Times ? ou dans le domaine du photojournalisme à celle de MediaStorm ?


logos de mediapart arret sur image bakchich slate Les pure players français à la peine

Après l’émergence de pure players se voulant vraiment en phase avec le journalisme digital et ses outils et format en devenir permanent, créés pour la plupart par des journalistes venues de la presse écrite (Rue89, Mediapart, Bakchich, Arrêt sur image et dernièrement Slate), le collapsus boursier de septembre 2008, la baisse des investissements publicitaires (et parfois leur retrait pur et simple) et les difficultés récurrentes que rencontrent les pure players à exister et à durer en inventant un modèle économique viable – et surtout une autre façon de faire du journalisme et d'informer – n’incitent guère à l’optimisme et au lancement de nouveaux projets d’envergure.

Alors, d'aucuns, pour sortir de la crise ou en "adoucir" les effets, proposent de revenir aux vieilles solutions, celles qui marchaient avant... avant le Web, bien entendu. Ceux-là prônent le retour ou l’élargissement de l’accès payant à l’information. Le
journal Libération annonçait en septembre 2009 qu'il passerait partiellement au payant.

La contre-offensive du payant (la loi Hadopi est un des éléments de cette manoeuvre) est lancée et pas seulement pour l'info : musique, cinéma…

Gratuit ou payant ?


Ce débat omniprésent
gratuit-payant, jusque-là plutôt de basse intensité, a été relancé par Rupert Murdoch qui annonçait en août 2009 une perte 3,4 milliards de dollars pour son groupe News Corporation (Wall Street Journal, The Times, New York Post…) et revenir au payant pour les sites de ses journaux. Inquiétant. Du côté de Prisma Presse (groupe allemand Gruner & Jahr - Bertelsman qui publie Capital, Géo, Femme actuelle, Gala…), la direction annonçait début septembre 2009 un plan de quarante-cinq départs volontaires sur quelque mille salariés.

Outre le secteur marketing, la rumeur veut que les principales victimes seraient celles travaillant pour le Web, auxquelles il serait proposé environ un an de salaire pour leur départ.
Que deviendront les sites ?
Certains patrons de presse et de rédaction rêvent peut-être, encore en sourdine, que des automates gèrent la maintenance de sites Web alimentés par des dépêches.
Messieurs, autrefois cela s'appelait des téléscripteurs.

Pour ceux qui voudraient prendre connaissance des sites online en compétition (et se constituer un répertoire fort utile de sites) voir ci-dessous:

La liste des finalistes pour les 2009 Online Journalism Awards