23/02/2010

USS Normandy, navire de la IVe Flotte des Etats-UnisBruits de bottes et de flotte
en Amérique latine


Une situation politique et sociale vénézuelienne en surchauffe; avec une lutte sans merci entre le gouvernement d'Hugo Chavez et l'opposition pour la maîtrise des médias. Un contexte régional (Amérique latine/Caraïbes) de plus en plus tendu.
Bruit de bottes, avec Washington qui resserre son étau militaire sur la république bolivarienne avec l'aide de son alliée, la Colombie d'Alvaro Uribe.
Bruit de la IVe Flotte états-unienne, sur l'autre flanc, dans la mer des Caraïbes et le long des côtes vénézuéliennes et latino-américaines.
Appétit exacerbé des grands pétroliers mondiaux par les promesses des gisements de la ceinture de l'Orénoque.

Voilà de quoi rendre le président Hugo Chavez vigilant, tout autant qu'urticant. Car il joue une partie géopolitique serrée face à des adversaires puissants.


Hugo Chavez voit rouge

dessin humoristique de Hugo Chavez tordant le cou à l'aigle américainAprès avoir été un peu délaissé, par l'administration Bush — tout à sa traque du terrorisme islamiste, à ses guerres en Irak, en Afghanistan et à son remodelage du grand Moyen-Orient — le continent latino-américain, considéré par les Etats-Unis, depuis Monroe comme son « arrière-cour », réapparaît avec plus d'intensité, depuis deux à trois ans, sur les écrans radar de Washington. Dès lors, les événements ne font que s'amplifier.

Hugo Chavez, par son programme de révolution politique bolivarienne, par son activisme, par ses déclarations et ses provocations, mais aussi par sa personnalité, joue le rôle d'épouvantail auprès de Washington et de ses alliés. Mais il ne faut surtout pas négliger le fait qu'il est à la tête d'un pays dont le sous-sol recèle des réserves d'hydrocarbures phénoménales : la ceinture de l'Orénoque. Selon des estimations de la
PDVSA (Petróleos de Venezuela SA), la compagnie nationale, les gisements équivaudraient à 235 milliards de baril de brut. En 2007, 100 milliards de barils de brut étaient certifiés. La certification devait s'achever en 2009. Le Venezuela deviendrait, au moins potentiellement et du point de vue de ses réserves, le premier producteur de pétrole mondial. Aujourd'hui, il occupe la 9e position avec une production d'environ 2 millions et demi de bpj. Nous reviendrons sur cette question dans un prochain billet.

La détérioration des relations entre le Venezuela et la Colombie est l'illustration de la tension qui règne dans la région. Nous pourrions même parler, dans ce cas précis, d'escalade, jusqu'à cet épisode de Cancún, qui a opposé les deux chefs d'état, pour l'instant verbalement. Nous allons y revenir plus loin.

En juillet 2009, Le Venezuela avait gelé ses relations diplomatiques avec la Colombie, menaçant d'aller jusqu'à l'embargo économique si
Bogota continuait de l'incriminer, entre autres choses, dans une quelconque aide aux FARC. Embargo commercial devenu peu après effectif et qui sera dénoncé par Bogota en novembre 2009. Le Venezuela déplaçant ses échanges commerciaux vers le Brésil de Luiz Inacio Lulla da Silva, accusé à cette occasion par la Colombie de « manquer de solidarité ».

Autre motif et pas des moindres.
Toujours dans cette même période, en
août 2009, les Etats-Unis ont conclu un accord de coopération militaire avec la Colombie du président Alvaro Uribe — soutien sans faille dans la région de la politique américaine. Cet accord renforce leur position car il permet aux forces états-uniennes de disposer de sept nouvelles bases (Apiay, Cartagena, Larandia, Malaga, Malambo, Palenquero, Tolemaida; certaines étant des bases des forces spéciales colombiennes) sur le territoire colombien, officiellement pour lutter contre les narcotrafiquants.
Plus certainement inspirées — car toujours d'actualité — de ce qu'écrivait Nicholas Spykman (figure de la géostratégie états-unienne et mondiale, et l'un des inspirateurs de la politique américaine de l'« endiguement », containement), en 1944, dans The Geography of the Peace : « La puissance aérienne, ce n'est pas simplement des avions, mais des avions plus des bases. » (cit. Hervé Couteau-Begarie).

Mais, après cette signature, le président colombien, Alvaro Uribe, semble plus que jamais isolé.
La tournée diplomatique entreprise afin d'expliquer sa politique aux pays voisins, n'a pas convaincu. Les chefs d'état visités n'ont, semble-t-il, pas été dupes de ses arguments. D'autant que le Panama du conservateur Ricardo Martinelli va laisser s'implanter quatre nouvelles bases américaines sur son territoire.

La rancune éclate à Cancún

Cette grenade dégoupillée, les relations Colombie/Venezuela, a roulé jusqu'au sommet de Cancún (Mexique) qui réunissait, du 21 au 23 février 2010, vingt-cinq chefs d'état d'Amérique latine et des Caraïbes — « le groupe de Rio » — et qui devrait déboucher sur la création de la Comunidad de Estados Latinoamericanos y Caribeños (Communauté des états latino-américains et Caraïbes), donc sans les Etats-Unis et le Canada comme dans l'OEA (ou OAS en anglais) Organisation des Etats américains.

Lors de ce sommet, Hugo Chavez a vu rouge.
Il a eu eu une violente altercation avec le président Alvaro Uribe, le 22 février 2010, dans une réunion privée mais devant témoins, et qui a fait la Une des journaux du monde entier instantanément.

Altercation, qui, au-delà de l'anecdote, si plaisante aux médias avides de « buzz », souligne bien la tension qui existe entre les deux états. Et, dans l'ordre de l'anecdote, fait suite au twitte imbécile du chanteur colombien Juanes, que nous signalons, à notre corps défendant, pour souligner à dessein, comment petit à petit, habilement, monter un peuple contre un autre et réveiller des antagonismes nationaux sans rapport avec les intérêts réels des uns et des autres.
La question se pose : A qui profite le crime ?


Bruit de la IVe flotte


le contre-amiral Victor Guillery, commandant en chef de la IVe Flotte des Etats-UnisDéjà, en avril 2008, la renaissance de la IVe Flotte, qui avait disparu depuis 1948, est ressentie par de nombreux pays d'Amérique latine comme une agression. En effet, La IVe Flotte a pour mission de surveiller et de contrôler la côte atlantique, non seulement de l'Amérique latine, mais aussi la mer des Caraïbes.

Auparavant, la zone dépendait de la seule IIe Flotte, chargée de l'Atlantique. La IVe Flotte,
basée à Mayport en Floride, est commandée, ainsi que l'US Naval Forces Southern Command, depuis juin 2009, par le contre-amiral Victor Guillory (photo ci-contre) et s'impose comme le nouveau gendarme maritime de la région.

A l'occasion de cette résurgence d'une flotte disparue depuis soixante ans, le contre-amiral James W. Stevenson, alors commandant des forces navales américaines pour la région sud (2008), déclarait, sibyllin et menaçant : « Cela envoie le bon signal, même à ceux qui comme vous le savez, ne sont pas forcément nos plus grands supporters ».

Le président brésilien, Luiz Inacio Lulla da Silva s'était ému du retour de cette IVe Flotte, en
avertissant qu'il ne souhaitait pas voir la Flotte états-unienne croiser aux abords des nouvelles zones pétrolifères. La marine brésilienne pouvait s'en charger. Car le Brésil venait de découvrir (2007) de gigantesques gisements de pétrole au large de ses côte, au sud et sud-est. Petrobas, la compagnie nationale estimait les gisements off-shore de Tupi (baie de Santos) entre 5 et 8 milliards de barils. Ils ont pu être exploité finalement en 2009, en tenant leur promesse. Depuis, d'autres gisements on été découverts au large, dans la même zone maritime.

Depuis, la présence états-unienne ne fait que s'intensifier.

Certains observateurs, comme Ignacio Ramonet (directeur de l'édition espagnole du Monde diplomatique), spécialiste des questions latino-américaines et plutôt pro-Chavez, trouvent que tout cela ressemble fort à un encerclement du Venezuela par les forces américaines. Ignacio Ramonet, lui, va jusqu'à craindre une intervention militaire prochaine. « Le Venezuela encerclé ».

Car, au-delà de toutes ces péripéties, nous avons affaire à une vraie crise régionale. Elle a donné naissance à un axe diplomatique qui réunit des membres de l'Alba (
Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) : la Bolivie d'Evo Morales, l'Equateur de Rafael Correa, mais aussi le Brésil de Luiz Inacio Lula da Silva, qui n'y a pas adhéré et qui demande à Barack Obama des garanties juridiques quant à l'emploi des bases colombiennes. Oui à la lutte contre les narcotrafiquants, mais non à un conflit régional serait le message brésilien.

Un exemple, parmi d'autres, des tensions locales, la question de la base Manta en Equateur.
Sa fermeture, en juillet 2009, à la suite du non-renouvellement du bail (de 10 ans) aux Etats-Unis, par les autorités équatoriennes, a été entériné à la suite — en terme diplomatique nous appellerions cela un « incident de frontière », mais cela ressemble plus à une violation de souveraineté territoriale : en février 2008, l'aviation colombienne avait bombardé un camp des FARC, situé sur le territoire équatorien. En outre, la base Manta, cédée aux Etats-Unis en 1999, et qui devait servir officiellement à la lutte antinarco, était considérée comme une base arrière logistique pour soutenir la Colombie dans sa lutte contre la guérilla des FARC.

Au sujet de la base Manta, écoutez ce que déclarait Larry Birns, directeur du Council of Hemispherical Affairs, interrogé par Sylvain Biville sur RFI (17 juillet 2009)

Lire : « Les bases US en Colombie ». Lamia Oualalou. Le Figaro. Août 2009.

Sur Russia Today (août 2009), interview d'Eva Golinger sur la présence accrue
des troupes états-uniennes
en Colombie et sur l'interprétation qu'en fait le Venezuela de Hugo Chavez.
(En anglais)




Présence accrue de la IVe Flotte à Aruba et Curaçao


Eva GolingerPour parfaire le dispositif d'encerclement du Venezuela, selon l'avocate états-unienne et rédactrice en chef du nouveau Correo del Orinoco International, en anglais (inaccessible en ligne, sauf erreur de notre part, autrement que par PDF via venezuelanalysis.com, le numéro du Correo del Orinoco International du 19 février 2010) Eva Golinger (ci-contre), installée depuis 2005 à Caracas (sa famille avait émigré du Venezuela vers les Etats-Unis dans les années 1930) il y aurait un regain d'activité militaire, au nom d'un accord de coopération militaire, entre les Etats-Unis et les Pays-Bas, sur les bases navales d'Aruba et de Curaçao, îles des Antilles néerlandaises (Netherlands Antilles), donc tout près, si près du Venezuela (voir la carte ci-dessous et cliquer sur les pictos bleus). Aruba se situe environ à 28 km de la côte vénézuélienne, soit un peu plus de 17 miles ou un peu plus de 15 milles nautiques. Les deux îles disposent de ports en eaux profondes.

Eva Golinger a relevé que près d'une centaine de bâtiments de guerre avaient fait escale dans les deux îles au cours de l'année 2009.

Ces deux îles — Aruba et Curaçao auxquelles il faudrait ajouter l'île Bonaire — sont sous souveraineté des Pays-Bas et donc sous juridiction de la Communauté européenne. Aruba, par exemple, dans le cadre de la 10e FED
(fond d'investissement européen), portant sur la période 2008-2013, a reçu 8,88 millions d'euros (source : direction générale du développement et des relations avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Commission européenne). Les députés européens, soucieux des affaires internationales, seraient bien inspirés de demander des explications au ministre-président néerlandais Jan Peter Balkenende.


Haïti 51e état de l'Union ?

A la lumière de ces mouvements,
on peut interpréter différemment la présence militaire américaine à Haïti, à la suite du séisme du 12 janvier 2010. Plusieurs navires de la IVe Flotte, pour certains de gros tonnages (USS Normandy, en photo d'ouverture de ce billet, USS Bataan, USS Nasau, USS Bunker Hill, USS Carl Vinçon…), ont mouillé à Port-au-Prince pour apporter une aide humanitaire à la population haïtienne. Population qui a, bien entendu, grandement besoin d'aides. Mais était-ce le seul but ?

La Chine, quant à elle, avance une réponse. Dans Le Quotidien du peuple du 21 janvier 2010 — qui est l'organe de presse du Comité central du Parti communiste chinois, et à ce titre peut être considéré comme diffusant la parole officielle — Pékin considère que Haïti devient, de facto, le 51e état des Etats-Unis, ne serait-ce que par l'importance des moyens militaires déployés et par leur nature.


Un article de Time, « The U.S Military in Haiti : A Compassionate Invasion » (« une compatissante invasion »), se pose la question et analyse l'hypothèse, en remarquant que l'intervention américaine « avait l'intensité qui aurait prévalu si Haïti fut un état de l'Union ».
Sur cette question du 51st state, Robert Lustig pour BBC: « Haiti : the 51st state? »

Biblio:
Code Chavez, CIA contre Venezuela, Eva Golinger, Marco Pietteur éditeur, 2006.



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