07/12/2009

fermeture de soitu.es, site d'information en ligne espagnolLe site espagnol, Soitu, passe du sommet au gouffre

Soitu.es recevait, le 3 octobre 2009, le prix du meilleur site d'information hors langue anglaise à San Francisco. Ce prix décerné par l'ONA (Online News Association), principale association américaine de journalistes en ligne, consacrait pour la deuxième année consécutive un pure player inventif qui avait su conjuguer qualité de l'information et participatif. Et puis le 27 octobre 2009, la nouvelle tombait : soitu.es cessait de diffuser.


Du zénith au nadir

Soitu.es — qui avait en un peu moins de deux ans, a réussi à créer une vraie communauté autour lui, jusqu'à un million et demi de visiteurs uniques par — n'est pas passé du zénith au nadir en quinze jours. La crise couvait depuis plusieurs mois sur fond de dépression économique mondiale.


La BBVA (Banco Bilbao Vizcaya Argentaria), actionnaire de référence, à hauteur de 49 % — le reste étant détenu par les rédacteurs — et soutien du site depuis ses débuts en 2007, menaçait depuis le krach de l'été 2008 de quitter le navire. Ce qu'elle ne finit pas faire qu'au printemps 2009.
Restaient alors, à soitu.es, les revenus publicitaires (800 000 euros par an). Mais ceux-ci, vite insuffisants, placent le site en grande dépendance. Particulièrement, dans un climat marqué par l'effondrement des investissements publicitaires sur le Web. La direction du site se résout alors à licencier une quinzaine de salariés sur trente-huit. Mais les dés sont jetés et roulent… jusqu'à ce funeste 27 octobre 2009.


Précisons que la BBVA, fondée au Pays basque, loin d'être une petite banque de province, se classe comme le deuxième groupe bancaire d'Espagne et d'Amérique latine et le premier au Mexique via sa filiale Bancomer (source Wikipédia).

gumersindo lafuente, rédacteur en chef de soitu.esLes raisons de l'échec

Dans son dernier édito (repris dans la version online d'El Pais), le jour de la fermeture de soitu.es (27 octobre 2009), Gumersindo Lafuente (ci-contre), son rédacteur en chef, ancien patron de la rédaction du site du quotidien madrilène El Mundo et figure du journalisme ibérique, revient, en forme de mea culpa, sur ce qui a achoppé, en particulier avec son bailleur de fonds, BBVA : « Nous avons eu, dès le départ, le soutien de notre actionnaire de référence, BBVA, sans qui ce rêve n'eût pas été possible. Puis il ajoute, or nous n'avons pas su, dans les derniers mois, convaincre notre partenaire que les projets qui naissent dans un secteur immature et en pleine croissance nécessitent en période de turbulence, de la patience pour trouver leur place.»

Il aura donc manqué du temps à Soitu.es, pour s'imposer, et la capacité de convaincre les financiers qu'un des meilleurs sites d'info d'Espagne détenait à la fois le potentiel et les atouts humains et techniques pour réussir, pourvu qu'on lui en laisse le temps.

salle de rédaction de soitu.es
La rédaction
de Soitu.es





Le temps est une denrée hors de prix. Le monde de la finance, gouverné par une avidité entropique, ignore le mot « patience ». Le retour sur investissement doit être à deux chiffres et quasi-immédiat. « Time is money » n'est pas qu'un poncif du globish pour grands débutants. Dans le monde digital, à l'instar de celui des « atomes », une marque — a fortiori pour des sites d'information —, si elle n'existe pas préalablement, doit bénéficier de temps pour s'imposer. Même si les avis divergent quant à la durée, trois à quatre années paraissent le minimum.


Pure players en voie d'asphyxie ?

Soitu.es est un cas exemplaire de pure player qui, pour ne pas avoir mené une politique de diversification — mais en a-t-il eu le temps ? — s'est retrouvé prisonnier d'une seule source de revenu, la publicité. Publicité à la fois en voie de raréfaction, crise oblige, mais aussi soumise à l'attentisme et au manque d'imagination des publicitaires tétanisés sur des campagnes display inadaptées.

Partout les pure players recherchent des solutions, institutionnelles et/ou individuelles. Ainsi en octobre 2009, anticipant le décret d'application d'une disposition de la loi Hadopi reconnaissant, enfin, le statut d'éditeur en ligne, les principaux représentants des pure players français (Arrêt sur images, Bakchich, Indigo Publications, Mediapart, Rue89, Slate.fr et Terra Eco), rejoints depuis par une trentaine de sites, se sont regroupés au sein du Spiil (Syndicat de la presse indépendante en ligne) afin de faire valoir les droits des pure players auprès de la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) comme tous les autres organes de presse.

L'action du Spiil porte, en particulier, sur la reconnaissance professionnelle des journalistes qui travaillent sur le net et sur les avantages juridiques et économiques dont devraient bénéficier les éditeurs de presse en ligne (
par exemple la baisse de la TVA de 19,6 à 2,1 comme pour la presse papier).
Et puis, en ligne de mire, la cagnotte de vingt millions d'euros qui doit être attribuée, sur trois ans, au titre de l'aide publique à la presse en ligne. Autant dire que tous les éditeurs fourbissent leurs armes.

Sur le plan individuel, des sites explorent des pistes. Par exemple Rue89, partenaire dès l'origine de Soitu.es, recherche comme beaucoup un modèle économique viable en se diversifiant (et en recapitalisant) : produire et fournir du contenu payant, concevoir des sites web et vendre son expertise, développer des partenariats (exemple avec Quebec89).
Mais le site reste économiquement
fragile et n'atteint pas encore le point d'équilibre, tout comme la majeure partie de ses confrères.

Le cas français. Une sombre fin d'année 2009

En cette fin 2009, qu'a-t-on appris ?

Le 2 novembre, Carlo Revelli, un des fondateurs d'Agoravox lançait un appel aux dons sous peine de devoir fermer le portail d'informations participatif et citoyen.
la une du n° 11 de bakchich hebdo
Le 9 novembre, après l'échec (vente de 12 à 15 000 exemplaires, au lieu des 25 000 prévus, pour un tirage de 35 à 40 000 exemplaires [1]) de son journal papier, Bakchich Hebdo, lancé en septembre 2009 (la Une du n°11 de décembre 2009, ci-contre), le site Bakchich se déclarait auprès du tribunal de commerce de Paris en cessation de paiement. Le tribunal de commerce plaçait la société en redressement judiciaire. Le premier trimestre 2010 pourrait être décisif pour Bakchich, qui compte sur de nouveaux investisseurs et l'aide des lecteurs (création du Club des amis de Bakchich, avec pour marraine la comédienne Isabelle Adjani) et un seuil à atteindre de 15 000 exemplaires pour Bakchich Hebdo. De quoi tenir jusqu'à l'éventuelle aide de l'Etat.
[1. Chiffres de diffusion difficiles à vérifier, tant ils changent d'une source à l'autre.]

Début décembre, on apprenait que lepost.fr, appartenant au groupe Le Monde était à vendre. Les rumeurs qui circulent évoquent quelques repreneurs déjà sur les rangs : Pierre Chappaz (Wikio), Pierre Bergé (le patron myopathe en colère) associé à Jacques Rosselin (Vendredi) et Rentabiliweb (le fiasco de la distribution d'argent sur les Champs-Elysées).


A méditer la conclusion du billet-hommage à Soitu.es de Pierre Haski sur Rue89 :
« Dans le même temps, les nouveaux médias Internet expérimentent différents modèles économiques dans un secteur où il n'en existe aucun ayant fait ses preuves et dans un contexte de récession. La mort de Soitu.es montre que tous ne réussiront pas, même si Internet incarne l'avenir de l'information. »

un logo de soitu.esUn signal inquiétant pour les innovateurs

Soitu.es n'a pas démérité. Mais l'inquiétude naît du fait que ce site de qualité, fondé sur un concept séduisant, « l'intelligence collective », conçu et animé par des professionnels, à la créativité reconnue par ses pairs et les infonautes au-delà de ses frontières, reconnu comme un des meilleurs d'Espagne, voire du monde, soit ainsi balayé.
Mauvais signal envoyé à ceux qui voudraient faire preuve d'innovation aussi bien technique qu'éditorial et rester dans la course.


Pas de larmes mais du rhum et de la vodka

E
nfin, dans l'édition en ligne d'El Pais du 27 novembre 2009, Delia Martinez, dans un billet titré « RIP Soitu.es, un funeral festivo » nous rassurait sur l'ambiance : « Pas de pleurs, pas de larmes, juste des gâteaux, des paquets de cacahouètes et des chips, du bon rhum et de la vodka. »

Donc pas de tristesse. D'ailleurs, on annonce la naissance de deux nouveaux sites espagnols : Factual et FronteraD.

Les animateurs du site font preuve pour leur départ du même humour que pour le lancement du site.

Leur vidéo d'adieu ci-dessous : « Españoles, soitu ha morto ».



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soitu.es dit adieu à ses lecteurs

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