24/11/2009

couverture du livre un jour comme un autre de bertil scaliYann Moix s'enflamme pour le premier livre de Bertil Scali. Fallait pas.

Dans une chronique parue dans le Figaro littéraire du 20 août 2009, le romancier et réalisateur Yann Moix n'y allait pas de main morte dans le dithyrambe. Pour lui, deux livres exceptionnels paraissaient en cette rentrée littéraire 2009, comptant pas moins de 659 romans dont 87 premiers romans : Un roman français de Frédéric Beigbeder (Grasset) et Un jour comme un autre de Bertil Scali (édition Anabet). Sans oublier un « chef-d'œuvre » : Les aimants de Jean-Marc Parisis (Stock).

Le premier, Un roman français a reçu le 2 novembre dernier le Prix Renaudot 2009 et et les yann moixventes
approcheraient, selon l'Express, les 100 000 exemplaires. Le service comptable de Grasset se frotte les mains.

Yann Moix (ci-contre) a presque été exaucé, lui qui finissait sa chronique du Figaro littéraire par : « Donnez-lui le Goncourt et qu'on n'en parle plus ? Non. Donnez-lui à condition qu'on en parle encore. » Quant au second : Un jour comme un autre, qualifié rien de moins par Yann Moix comme « le plus beau premier roman de l'année », il a été emporté dans la crue livresque qui prévaut en cette saison.


Moix et ses copains


Bien que Frédéric Beigbeder et Bertil Scali soient des copains de Yann Moix — ceci explique cela — il fallait quand même aller voir ce qui enthousiasmait à ce point Yann Moix, qui a page ouverte au Figaro littéraire depuis un an, presque jour pour jour, et qui consacrait tout son feuilleton littéraire — « Un stylo et des larmes. » — du 3 septembre 2009 au livre de l'ex-éditeur Bertil Scali. De quoi s'interroger.

Yann Moix, fort actif en cette rentrée, vient de commettre Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson,
(devant tant de cynisme opportuniste on reste pantois), chez Grasset, comme l'ami Beigbeder, et un second film, Cinéman (sorti en octobre 2009).
Confirmation, après Podium (2004), que Yann Moix réalisateur sera aux années 2000 ce que Richard Balducci, Philippe Clair ou Claude Zidi et consorts furent aux années 1970, l'« humour » en moins, la prétention en plus.


Bertil ScaliAmour et cavalerie

Un jour comme un autre nous rappelle l'adage qui veut que les histoires d'amour finissent mal en général, mais que les maisons d'édition qui usent de la cavalerie aussi.

Le livre, autobiographique et à clé, s'ouvre sur un jour funeste pour Bertil Scali (ci-contre), un certain 16 septembre, date du dépôt de bilan des Editions Scali et du départ de Jeanne, sa femme, qui n'a rien trouvé de mieux que de le plaquer ce jour-là. En outre, Jeanne travaillait dans la maison d'édition.

Après cette « déflagration » initiale, Bertil Scali, quarante ans, nous raconte par le menu les menus événements qui ont fait la trame des derniers mois de leur vie commune sentimentale et professionnelle (désamour, soupçons, jalousie…), de sa vie post-dépôt de bilan mais aussi par flash-back de sa vie d'avant, de toujours, de la famille, des enfants, des amis…
L'auteur brosse une série de portraits (de gens connus ou inconnus) et aligne ses souvenirs comme autant de vignettes, parfois savoureuses comme ce périple vietnamien « lariamisé », ou franchement inintéressantes car à usage interne, et on l'imagine, purement cathartique. Certains stylos ont une encre anesthésiante.


En effet, trop souvent le récit languit, se perd dans les détails, s'enfonce dans des tunnels interminables, comme ce voyage en Californie avec ses deux enfants, Lou et Orson (comme sortis d'un catalogue Bonpoint), pour y retrouver sa mère. Sorte de notes jetées comme sur ces post-it collés sur le réfrigérateur, de peur d'oublier une partie des courses.

Name dropping

Et puis, au détour de certaines pages, l'intérêt s'éveille, trop rarement : on croise Gainsbourg rue de Verneuil, le pape Jean-Paul II à Cracovie, mais de loin, Issei Sagawa le Japonais cannibale, Belmondo et son magnétoscope, Anne-Marie Perrier et Jean-Dominique Bauby à la rédaction de Elle… Parfois cela ressortit de la pure énumération (on croirait entendre la chanson L'Aventurier de Dutronc-Lanzmann), de l'ébauche, et se révèle un peu fastidieux, comme si Bertil Scali voulait se convaincre de sa propre existence passée, se rassurer aussi sur sa vie présente, au travers de l'album d'instantanés alignant les figures qui ont jalonné son parcours de journaliste (VSD, Paris Match, Nova mag). Mais de l'auteur ou de l'album, ce qui nous intéresse alors, c'est moins Bertil Scali que les personnages ou personnalités rencontrés.

Et là, on reste un peu sur notre faim. On se plaît à imaginer quelle épice aurait pu relever ce plat un peu fade de la gastronomie littéraire neuilléenne — dont Frédéric Beigbeder est un peu le chef de file — ou quels ingrédients l'auraient rendu plus roboratif.

C'eût été, par exemple, de nous narrer, autrement que par allusion et fugitivement, les entrevues avec Richard Sète, derrière lequel on croit reconnaître Roger Théron, sétois d'origine et rédacteur en chef historique de Paris Match. Avec Roger Baron (Richard Branson, le patron de Virgin et ami de la famille), ou encore avec Hervé Boccador qui ressemble beaucoup à Hervé Mille, le journaliste, le bras droit du patron de presse Jean Prouvost, l'homme du Tout-Paris, qui fréquenta à peu près tout le monde dans le dernier demi-siècle.


Or, cela supposait un traitement moins évanescent et mondain que celui consistant à faire du name dropping dans un cocktail littéraire.


Allô maman bobo

Bertil Scali croise dans les eaux narratives d'un Eric Neuhoff et ses romans conjugaux. Tout cela est gentiment bobo, gentiment parisien.
Un peu indifférent, on éprouve le sentiment d'être le témoin des peines sentimentalo-professionnelles d'un gosse de riche qui se souvient, nostalgique, de sa jeunesse dorée (ce qui ne va pas sans quelques douleurs personnelles, quand par exemple, enfant, il assiste à la séparation de ses parents) et qui, a quarante ans, se réveille dans la peau d'un looser.
Un looser qui découvre l'existence des tickets restos et les horaires fixes d'un travail alimentaire, lui le dilettante plutôt habitué aux vacances dans le château familial aveyronnais, les week-ends à Val d'Isère ou à Deauville, les noubas chez Castel…


Contre-culture et quick-books
Patrick Eudeline
En quatre année d'existence, les éditions Scali ont publié quelque 200 titres (ce qui est beaucoup), en particulier autour de la culture urbaine et de la "contre-culture", avec un directeur de collection, le légendaire Patrick Eudeline (ci-contre), Patrick Rochechouart dans le livre, lui apportant en quelque sorte une « underground credibility ».

La maison affiche alors un catalogue avec de nombreux bons titres — dans un secteur plutôt délaissé par la « grande » édition — en particulier grâce à la collection dirigée par Patrick Eudeline et avant lui par Stéphane Million, qui a depuis créé sa propre maison.


La maison Scali se lance aussi dans le quick-book (ou fast-book qui sonne comme fast-food) et les coups éditoriaux : Carla et Nicolas, chronique d'une liaison dangereuse de Chris Laffaille et Paul-Éric Blanrue, ou Cht'is, on va ch'tout vous dire de Claire L'hoër.

Quick-book
: il s'agit de torcher en un tournemain un produit d'actualité (Sarkozy, Kerviel…) et d'inonder les librairies sur un court laps de temps. Ce type de quick-books a une durée de vie très limitée, limitée à la durée de l'attention que le public qui zappe de plus en vite d'un sujet à l'autre veut bien lui accorder.



Dépôt de bilan et retour aux paddocks

Une sorte de « cavalerie éditoriale » se met en place — publier de plus en plus de livres, toujours plus mauvais, de plus en plus rapidement, inonder les libraires via l'office, facturer… Mais bientôt, il y a de plus en plus de retour, il faut rembourser et pour éditer des livres, il faut de l'argent, etc. Et le système se casse la figure.
Notons que ce système est largement de mise dans le milieu de l'édition, les grandes maisons y recourent aussi.
Si cela permet de gonfler momentanément les rentrées financières, et de prolonger la fuite en avant, le contre-effet est de ruiner à la fois l'image de la maison et celle de l'éditeur. La « cavalerie » est toujours synonyme
de disqualification, au moins morale, et de retour aux paddocks pour les rosses de l'édition.

[voir le témoignage de Cristophe Dupuis, libraire
: «De l'office forcéBlog de Libération.fr]



Une attente déçue

On aurait aimé justement que Bertil Scali, lui-même fils d'éditeur, nous explique, autrement que par la crise (certes réelle), le pourquoi de cet échec, revienne sur la pertinence de ses choix éditoriaux contredit par le marché, les lecteurs; nous l'explique de l'intérieur, sans pour cela nous faire un cours, la précarité de l'économie du livre, sa vulnérabilité.
En l'occurrence, on aimerait comprendre comment une petite maison, réunissant deux ou trois salariés, a pu envisager de publier autant de titres.

Enfin, ce n'est pas le moindre des paradoxes, à la lecture d'Un jour comme un autre, on reste surpris du peu de place que la littérature et plus largement les livres occupent dans la vie de Bertil Scali telle qu'il nous la rapporte.


Autobiographie sur l'échec conjugal et professionnel — qui aura eu le mérite selon l'auteur, de lui permettre de « revivre » — Un jour comme un autre, s'avère un livre facultatif.

Autant en emporte la rentrée littéraire, quoi qu'en pense l'emphatique et enflammé Yann Moix, qui chronique après chronique nous rappelle qu'il est à la critique ce que le hard-discount est à l'épicerie fine.



A voir, à lire

Un portrait, plutôt favorable, de Bertil Scali éditeur par Anne Sophie Demonchy


édition, l'envers du décor par Martine ProsperPour comprendre les enjeux actuels de l'édition :
Edition, l'envers du décor, Martine Prosper, Lignes 2009


La chronique gratinée de Nanarland sur Cinéman, le film de Yann Moix






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