
Revenus publicitaires en chute libre, lectorat aux abonnés absents, business model introuvable (?), timidité dans l'innovation, plans de départs et de licenciements, des dizaines de titres qui disparaissent, sans compter les fermetures de sites sur le Web. Presses papier et online subissent de plein fouet la dépression économique. Mais au bout du compte, les empires du secteur, en pleine restructuration, pourraient bien, à terme, ramasser la mise… s'il reste quelques choses à ramasser. Quelques pièces du dossier d'un monde en mutation.
Une période fatidique pour les médias
Dans un billet précédent, nous pointions, en cette fin 2009, la triste séquence qui affecte les pure players français et étrangers d'info et la disparition de certains comme soitu.es.
Toutefois, en paraphrasant La Fontaine, si la crise frappe l'ensemble des médias, tous ne meurent pas… ou pas encore.
En effet, dans ce contexte tendu, avec des perspectives de croissance générale atone

A cet égard le groupe italien Mondadori (ci-dessus, son siège près de Milan), dirigé par Marina Berlusconi — la fille du président du conseil italien — offre un bon exemple. La famille Berlusconi via sa holding Fininvest contrôle 50 % du groupe Mondadori.
Après deux années difficiles (2008-2009), avec des bénéfices en berne (pour les neuf premiers mois de 2009 -54 %) le recul des investissements publicitaires… Mondadori prévoit de diminuer ses effectifs en Italie de 21%. L'objectif est la suppression d'environ 600 postes d'ici à la fin de 2011.

Série noire USA

Des titres qui disparaissent d'un trait de plume sur des bilans comptables (parmi ceux-ci beaucoup de journaux régionaux américains Rocky Mountain News à Denver, Seattle Post-Intelligencer de la Hearst Corporation…), des groupes autrefois solides comme Tribune Company qui édite, entre autres, le Los Angeles Times et The Chicago Tribune a dû, fin 2008, se mettre sous la protection de la loi sur les faillites avec une dette s'élevant à 13 milliards de dollars (en novembre 2009, la société demandait au tribunal un sursis, n'étant toujours pas sorti du rouge), les problèmes récurrents de l'illustre Boston Globe, qui a lancé en novembre 2009, une nouvelle offre en ligne : Bostonglobereader.
Les faire-part de décès s'accumulent pour la presse papier des Etats-Unis, pays où une longue et prestigieuse tradition journalistique est ancrée. Et il faut bien remarquer que tout un monde disparaît sous nos yeux, celui de la presse des XIXe et XXe siècles. En effet, la majeure partie de ces journaux américains qui ferment est née, il y a plus d'un siècle.
Et puis symbolique, toujours des Etats-Unis, la nouvelle nous parvient que le groupe Nielsen Business Media a conclu un deal avec e5 Global Media, dont James Finkielstein devrait prendre la présidence début 2010. Cette nouvelle entité sera constituée conjointement par les fonds d'investissement Pluribus Capital Management et Guggenheim Partners. Ce dernier gère des actifs sous supervision s'élevant à 100 milliards de dollars. Nielsen cède, à cette occasion, quelques-uns de ses fleurons de la presse de divertissement et de business pub : Adweek, Brandweek, Mediaweek, Backstage, Billboard, Film Journal International et The Hollywood Reporter.

Car le deal comprend aussi l'achat de the Film Expo business (ShoWest, ShowEast, CineAsia, et Cinema Expo International), société qui regroupe parmi les plus prestigieux et importants congrès, marchés et salons professionnels autour du business du cinéma aux Etats-Unis et en Asie (pour la distribution des films américains sur le marché asiatique). En Asie, Guggenheim Partners est présent à Singapour, Hong-Kong et Mumbai.
Les contenus des différents journaux seront mutualisés avec la mise en place d'une plate-forme commune et rendus payants sur le net. e5 Global Media Print parie sur le développement digital, mobile et « évènements ».
e5 Global Media possède maintenant les principaux journaux d'entertainment américain (production d'infos et de contenus) et les débouchés commerciaux pour le même segment. La boucle est bouclée.
La convergence, un gros mot ?
D'autres, moins ambitieux, ou à plus faibles capitaux, se tournent vers la convergence. Est-ce un gros mot ? En tout cas c'est tendance dans la presse. Une réponse à la crise ? Si la question n'est pas récente, pour de nombreuses entreprises de presse, en effet, une des solutions passe par la convergence. C'est-à-dire la fusion des rédactions papier et Web afin d'établir des passerelles entre les deux modes de communication mais aussi comme solution attrape-pub… et comme allègement de la masse salariale.
Depuis plusieurs années, aux Etats-Unis, des poids lourds du secteur l'ont entreprise (Los Angeles Times, New York Times). En cette fin 2009, c'est au tour des rédactions du Washington Post de converger. En 2005, on se souvient des bisbilles entre les deux rédactions papier et web du Post. Le mouvement ne fait que s'accélérer.
En France aussi ça fusionne. Les Echos voient converger ses rédactions papier et Web après que la direction et les syndicats ont trouvé un accord. Désormais, les journalistes travailleront indifféremment pour tous les supports, avec une reconnaissance du droit d'auteur. C'est l'aboutissement d'une restructuration qui avait débuté en novembre 2008 et qui selon Nicolas Beytout (Pdg de DI group, pôle média de LVMH) devait s'inscrire dans un plan de développement avec pour objectif une croissance de 50 %. On voit ce qu'il en est un an plus tard.
Ironie de l'histoire: dans le même temps, le propriétaire des Echos, Bernard Arnault (LVMH) mandatait la banque Nomura pour vendre le titre, au plus tard dans un an et demi. Même si dans la foulée, un des porte-parole du groupe a démenti l'information.
De fait, les syndicats, comme le SNJ, qui se félicitaient de l'accord, risquent de déchanter avant peu. De nouveaux licenciements devraient intervenir dès 2010.
La convergence, est-elle la panacée ?
Pas sûr répondent les journalistes américains. Des objections apparaissent au sein des rédactions. Car la convergence suppose le rapprochement de deux prés carrés, avec le retour de l'ancestrale querelle des « anciens » et des « modernes ». Les « anciens », venus du papier et fidèles aux techniques journalistiques qui lui sont inhérentes, ne sont pas prêts à abandonner leurs prérogatives aux « modernes», qu'ils ont tendance à considérer, avec condescendance, à peu de chose près comme des techniciens. Les choses évidemment ne sont pas si simples, mais c'est le choc des cultures.
Il faut lire l'excellente enquête de Joe Strupp sur la fusion des rédactions papier et digital sur le site d'Editor and Publisher. « When Will a Web Editor Lead a Major Newsroom? »
On y apprend par exemple que les deux responsables du site Web du Washington Post, Jim Brady et Ju-Don Roberton ont quitté successivement leur fonction car ils considéraient que la convergence des rédactions entraverait la ligne éditoriale et l'innovation sur le Web. Car au fond la question qui parcoure l'article est : « So who has authority ? » Et il ne s'agit pas que d'une question d'ego, mais simplement de savoir comment on veut exercer son métier de journaliste.

Dans le même article d'Editor and Publisher, Cory Tolbert Haik (ci-contre), rédactrice en chef adjointe à SeattleTimes.com, précise amusée, mais pas tant que ça :
« J'ai obtenu une place à la table […] mais la question reste toujours "Qui conduit le bus ? " Ce qui prime c'est le point de vue du print. La conférence de rédaction tourne toujours autour de ce que l'on va imprimer et quelles seront les infos que l'on va diffuser le lendemain dans la version papier. Le site vient en deuxième position, voire en troisième. »Mais le point de vue des rédacteurs venus du papier trouve aussi sa place dans l'enquête d'Editor and Publisher. Comme celui de Jonathan Landman, qui a supervisé la convergence au sein du New York Times, et qui déclare en substance que le Web est encore est un médium jeune et qu'il aurait été difficile de trouver quelqu'un, venu du Web, assez apte pour diriger le New York Times.
L'artillerie lourde des groupes multimédias
Qui ramassera la mise ? Personne ne peut le prophétiser. Mais tout le monde veut sa part.
Les groupes médias sortent donc l'artillerie lourde, avec des combinaisons financières et des

On ne voit pas comment, dans ce contexte, les pure players de l'information pourraient résister.
Un précédent : se souvient-on encore de ce qu'il est advenu de l'espoir qu'avait fait naître l'ouverture des ondes par François Mittterand. L'espoir que cela avait suscité pour certains de pouvoir informer et divertir autrement ? Nada. C'était au siècle dernier, il n'y a pas si longtemps, juste au début de 1980.
Car, si l'offre accrue de services, sur des terminaux de plus en plus différenciés, paraît être une voie d'avenir, il faudra bien alimenter tous les terminaux et autres plateformes numériques en plein développement. Ou bien l'intérêt des groupes se portera ailleurs, ailleurs que sur l'information et les contenus, et serons-nous alors condamner à lire des dépêches à flux tendu, ou du contenu sémantiquement vide mais optimisé pour le référencement ? En somme, une info délivrée sans décryptage, sans mise en perspective, pour un lectorat déjà conditionné par les gratuits distribués dans le métro ou la rue.
La crise, une « divine surprise » ?
Au fond, il se pourrait que cette dépression économique soit une « divine surprise » pour certains patrons de groupe média. Car l'impression générale qui se dégage, au moins à court terme, est que cette dépression, qui touche non seulement la presse et l'information en général, mais aussi et surtout l'ensemble de la société, offre aux groupes de presse, et devrait-on dire, plus largement, à tous les secteurs de l'économie, l'opportunité de restructurer à « moindres frais » et de faire le ménage. Occasion en or d'éliminer, par exemple, les titres peu ou pas rentables, licencier les journalistes sans que personne ne se mobilise ou réagisse, imposer de nouvelles manières de travailler (encore un peu plus de flexibilité, « tous Mojo »)… Et finalement de décider la mort du papier, car la rentabilité passe désormais par d'autres tuyaux et par la dématérialisation.

Fort heureusement, ou malheureusement, beaucoup de patrons de presse, mais aussi des politiciens, des hommes d'affaires, des publicitaires n'ont pas encore tout à fait bien compris le monde digital dans lequel nous sommes entrés.
Ils s'ingénient à penser les questions en fonction des anciens mass média (TV, radio, journal papier…). D'où cette détestation exprimée de façon caricaturale par Jacques Séguéla : « Le Net est la plus grande saloperie qu'aient jamais inventée les hommes.» Le pépé de la pub nous fait une « vieillesse nerveuse », comme aurait dit feu Matthieu Galais.
Cela laisse encore un peu de temps pour les contrer, eux qui veulent imposer des règles obsolètes à un monde qu'ils ne comprennent pas, sinon par la lorgnette de leurs intérêts immédiats. Comme d'ailleurs à chaque fois qu'il y a eu une révolution technique et des nouveaux modes d'expression.
Le mot de la fin à l'« Oracle d'Omaha »

Thank you Mister Buffet.