15/05/2010

Portrait d'Ethan Hawkes, le personnage principal de La Femme du Ve, adaptée du romancier Douglas KennedyEthan Hawkes tourne à Paris un film d'après Douglas Kennedy

Qui aurait pu imaginer que l'étoile montante du cinéma états-unien, débarquée dans la capitale avec femme et enfant, en avril 2010, était dans la place pour passer plusieurs jours, en toute discrétion, dans le XVIIIe arrondissement de Paris — un quartier populaire — pour tourner des séquences de The Woman of Fith. En l'occurence, le nouveau film du réalisateur d'origine polonaise Pawel Pawlikowski (My Summer of Love,
Last Ressort). A ses côtés, les cinéphiles retrouveront Kristin Scott Thomas (Largo Winch, Ne le dis à personne, et, Elle s'appelait Sarah, réalisé par Gilles Paquet-Brenner d'après le roman à succès de Tatiana de Rosnay, film dont la sortie est prévue en octobre 2010).


Dans The Woman of Fith — tiré
d'un roman de Douglas Kennedy, et désormais adapté au cinéma par l'auteur lui-même — Ethan Hawkes (Le Cercle des poètes disparus, Bienvenue à Gattaca, Assaut sur le central 13), actuellement à l'affiche dans L'Elite de Brooklyn (réal. Antoine Fuqua) aux côtés de Richard Gere, interprète le rôle d'Harry Ricks, professeur d'université et écrivain états-unien en rupture de ban, à la fois professionnel, familial, identitaire… — qui débarque à Paris, apparemment en touriste, mais un touriste en fuite.
Dans ce
roman à succès, sorte de « thriller social » paru en France sous le titre La Femme du Ve (2007), Harry Ricks va faire l'expérience d'une sombre glissade qui l'amènera plus à fréquenter Turcs, Kurdes et Sri Lankais du Xe arrondissement que les salles du musée du Louvre ou les boutiques clinquantes des Champs-Élysées. Le livre oscille, alors, pour le meilleur et parfois pour le moins convaincant, entre réel et imaginaire, naturalisme ethnique et fantastique social.

Tournage à Paris dans le respect de l'univers de Douglas Kennedy

A première vue, par le choix des lieux de tournage dans la capitale, Pawel Pawlikowski a voulu respecter l'univers parisien décrit dans le roman de Douglas Kennedy. D'une part, il y a le Paris intello, ou qui se veut tel, ancré dans le Quartier latin, en l'occurrence le Ve arrondissement, et d'autre part le Paris des immigrés, des marginaux, des laissés-pour-compte, loin des circuits balisés pour touristes. Dans le roman initial, le Xe arrondissement servait de cadre à la dégringolade d'Harry Ricks. Pawel Pawlikowski pour son film a choisi de tourner dans le XVIIIe arrondissement, comme nous allons le voir.

Rue des Poissonniers, l'équipe de tournage de La Femme du Ve est à pied d'œuvre. Paris XVIIIe, avril 2010.


Rue des Poissonniers, Paris. Tournage du film La Femme du Ve, avec Ethan Hawkes © Harry Fandor

Tournage dans un Paris qui disparaît

Hotel restaurant Au bon coin, lieu de tournage pour La Femme du Ve de Pawel Pawlikowski. © Harry FandorTout commence, à l'amorce d'avril 2010, dans ce coin paumé du XVIIIe arrondissement, frontalier d'anciennes friches industrielles de la SNCF, plus ou moins réhabilitées en immeubles de bureaux et d'habitations. Là, où une partie de la France d'en bas tente de survivre sans histoire(s) dans la capitale.

Signe avant-coureur : dès ce-même mois d'avril, des artisans (ou des décorateurs ?) entreprennent des travaux dans un ancien hôtel restaurant, nommé, on le suppose, ironiquement, Au bon coin (photo ci-contre).
Les travaux font même croire à certains habitants du quartier que le restaurant va rouvrir. Et, par parenthèse, ce regain d'activité colle une suée au patron de la brasserie PMU, quasiment en face, dans la rue Championnet, l'H'OS KF, qui redoutait la venue d'un nouveau concurrent, si près de son commerce.

Bientôt, à l'
angle des rues Poissonniers et Boinod, avec le Sacré Cœur de Montmartre en fond de décor, là-haut; l'inquiétude s'apaise : de gros camions blancs de régie investissent la chaussée accompagnés d'une équipe de repérage et de machinos bardés d'outils; des borgnioles sont prestement appliqués sur les fenêtres pour masquer la lumière; de puissants projecteurs installés, acrobatiquement, dans les étages, avec leurs groupes électrogènes dédiés. En somme, une équipe de cinéma, en toute discrétion, prend possession des lieux. Il faut le souligner dans l'indifférence générale.

A midi, toute l'équipe se retrouve
pour déjeuner sous un velum dressé dans un angle de la rue des Poissonniers. Personne ne semble le remarquer, mais dans d'autres circonstances, certains riverains font état de jets de pierres inquiétants contre les bâtiments et même envers les passants. Etrange apathie en cette circonstance de tournage.

Mais surtout, au final : aux inquiets ou aux optimistes, l'état de l'immeuble n'aurait dû laisser aucun doute sur son sort futur : la démolition.

Murs squalides et délités, fenêtres murées ou défoncées — ouvertes sur la nuit et le jour — d'où pendent, pour certaines, des lambeaux de rideau, et ces paraboles déglinguées abandonnée à la rouille…
C'est, dans ce décor vrai — qui est un vrai décor — que l'équipe de
Pawel Pawlikowski va travailler pendant plusieurs semaines. Un peu en catimini, il faut le rappeler, jusqu'au aux début mai 2010.

La porte de l'immeuble où vit Harry Ricks, personnage principal de La Femme du Ve. © Harry FandorRien ne semble déranger la torpeur du quartier, même si, préventivement, quelques « jeunes » ont été recrutés et affublés d'une brassard orange frappé du mot Sécurité.
D'ailleurs, les camions blancs, les machinos, le restaurant improvisé, tout cela disparaîtra comme cela sera arrivé, début mai 2010.
Qui se souviendra qu'Ethan Hawkes, pendant quelques jours, voire quelques semaines, est passé par là ? Depuis, le comédien états-unien, son épouse Ryan Shawhughes et leur fille Clementine Jane sont repartis aux Etats-Unis.

Et à Paris, en ces temps de sévère dépression, les saints de glace bastonnent sans pitié.


Auparavant, d'autres séquences ont été tournées dans les beaux quartiers : en particulier près du parc du Luxembourg. Quartier où se déroule l'essentiel des scènes sentimentales et oniriques qui concernent les relations d'Harry et de Margit, hongroise mystérieuse dont il est tombé amoureux et qui est une des clés du roman.
La sortie mondiale de The Woman of Fith est prévue en 2011.

Photo ci-dessus: La porte de « l'enfer social » dans lequel est entré Harry Ricks. Photo prise sur le lieu de tournage de La Femme du Ve, rue des Poissonniers, Paris XVIIIe. Avril 2010.

La Femme du Ve, de Paris à Istanbul


Couverture de l'édition française du roman de Douglas Kennedy : La Femme du Ve Paris, par certains côtés, dans le roman de Douglas Kennedy, s'apparente à l'Istanbul fantasmé d'Alan Parker (Midnight Express). Dans les deux cas, les Turcs n'ont pas le beau rôle. Car, même si ce ne sont pas les intentions initiales de l'auteur — ce que nous supposons — le livre véhicule, indirectement, certains des phantasmes etats-uniens sur le reste du monde, qui pourrait se résumer par une frousse de qui est différent, étranger (jamais loin d'étrange) et qui n'est que révélateur d'une forme de réflexe ethnocentrique beauf.

En effet, pour beaucoup d'états-uniens, le danger commence là où finit leur frontière. Morale de l'histoire : si vous voulez connaître l'enfer, quitter votre home pour l'Europe, l'Afrique… etc.

Paris, sous la plume de l'auteur de L'Homme qui voulait vivre sa vie, reçoit son brevet d'airain de capital de la déchéance sociale et de
la dissolution de l'identité, qu'il faut considérer comme irrémédiable.
Pour l'auteur, il n'y a pas de « second acte » dans la vie de l'individu qui se trouve déjà sur la voie d'une espèce d'infrahumanité. C'est-à-dire comprendre qu'Harry Ricks ne saurait connaître de rédemption. La Bible n'est pas loin.
Les épreuves qu'il traverse ne le rendent ni meilleur ni pire, elles sont pour lui juste autant d'étapes dans un labyrinthe définitivement sans issues. Au final, Margrit incarne la figure trompeuse de l'Ariane du mythe grec. Zeus aveugle (ou rend fou d'amour) ceux qu'il veut perdre.

Paris incarne alors une sorte de pandémonium peuplé de patron d'hôtel malhonnête, d'ateliers clandestins dans lesquels on ne sait pas très bien ce qui s'y trame, ou trop — on est à la limite d'un genre nouveau, le « snuff working » — d'intellectuels vaniteux et ridicules (là on ne peut pas donner tort à l'auteur), d'intermédiaires douteux, de mari africain violent…
Remarquons que par certains aspects, Douglas Kennedy semblent réutiliser comme matériaux pour sa fiction des éléments de légendes urbaines.


Au bon coin, le café restaurant dans lequel Ethan Hawkes a tourné des scènes de son prochain film, dirigé par Pawel Pawlikowsk. © Harry Fandor Douglas Kennedy, fils imparfait de Georges Simenon

A la sortie du livre, les critiques se sont enflammés, plutôt positivement, sur cette vision d'un Paris rarement évoqué, surtout sous une plume états-uniennes : crépusculaire, glauque et fuligineux.

Nous pourrions ajouter que c'est aussi parce que, d'un point de vue français, Douglas Kennedy est lui-même en rupture de ban. Le francophile Douglas Kennedy jouit auprès de la critique hexagonale d'une solide cote de popularité. En outre, ce roman (ou plutôt ce « conte cruel ») apporte des éléments à charge contre cette Amérique puritaine, confite dans le « politiquement correcte ».


Certains, parmi la gente plumitive française, ont même invoqué, pour l'atmosphère dégagée par le récit, Georges Simenon.


Ce
n'est pas faux. Même si l'on se souvient de ce que déclarait, avec une (fausse ?) ingénuité énervée, le père de Maigret à André Parinaud en 1955, pour la Radiodifusion française :
« Rien ne m'irrite autant que le terme "atmosphère". Le romancier d'atmosphère ! mais sacrebleu, s'il n'y avait pas d'atmosphère, c'est que le roman serait raté. C'est un peu comme si, me parlant d'un homme, vous disiez: « il respire ! » Autrement, il serait mort, non ? Un roman sans atmosphère est mort-né ».
Atmosphère, atmosphère! Mais le livre de Douglas Kennedy échoue à trop hésiter entre un réalisme de plomb et un onirisme souvent maladroit. Quant à la chute, dont nous ne dirons rien, elle laisse le lecteur plutôt incrédule.


La Femme du Ve
: de Poe à Delvaux


Portrait d'Edgar Poe, inspirateur de Douglas KennedyPour élargir la focale, notons que par certains aspects — les plus morbides — le roman de Douglas Kennedy, peut se rattacher à une certaine tradition « gothisante », qui pourrait renvoyer à Edgar A. Poe (ci-contre), avec son cortège de femmes fascinantes et mortifères : Ligeia, Morella ou Eleonora. Il trouverait fort bien à s'inscrire également dans une tradition littéraire plus européenne, avec E.T.A Hoffmann et Villiers de l'Isle Adam (pour sa nouvelle Véra) mais de façon bien maladroite et inaboutie.
Douglas Kennedy les a-t-il lus ?

Enfin, on se plaira à spéculer, eu égard à l'univers de La Femme du Ve, de ce que ce livre aurait pu devenir, adapté par quelque réalisateur d'autrefois, désormais méconnus (misère de la critique et du public et honte à eux) mais de grands talents comme André Delvaux (Un soir un train) ou encore Georges Franju (Les Yeux sans visage), sans oublier un compatriote de naissance de Pawel Pawlikowski, toujours vivant, malgré les coups juridico-politique dont il est victime : Roman Polanski.

Sans préjuger des choix esthétiques
de Pawel Pawlikowski, pour exemple de l'univers possible de La Femme du Ve, voici une scène d'Un soir un train avec Yves Montand (quand les comédiens français de premier plan avaient des convictions artistiques, pour ne pas dire plus sur le plan politique… avant que celles-ci ne s'émoussent avec l'âge) et la troublante Adriana Bogdan, qui épousera plus tard le poète et essayiste Alain Jouffroy. A ce titre, il faut lire d'Alain Jouffroy : Le Roman Vécu, paru chez Robert Laffont en 1978.


Un soir un train, extrait du film d'André Delvaux, 1968, Belgique.




A propos du dernier livre de Douglas Kennedy sur l'Egypte d'aujourd'hui
: « Douglas Kennedy : Au-delà des pyramides. »

Actu 26 mai 2010.
Harry Fandor est sur la brèche : le 27 mai 2010, rue des poissonniers, sur le film La femme du Ve, il y aura un tournage de nuit
, avec Ethan Hawkes ?, mystère!