05/03/2009

Étienne Mougeotte, l'« embedded »
de la Sarkozie


Impudence ou inconscience ? L'arrivée d'Étienne Mougeotte, directeur de la rédaction du Figaro, à Charm el-Cheikh (Égypte) pour la Conférence internationale pour la reconstruction de la bande de Gaza, aux côtés de Bernard Kouchner et de Xavier Bertrand, a suscité, au-delà du buzz médiatique, interrogations, agacements et ricanements.


Canal+ nous donne des nouvelles de Mougeotte
l'« embedded »

Le buzz est parti de Canal+.
Mardi
3 mars 2009, dans le Grand Journal de Canal+, on a pu voir les images de l’arrivée de la délégation française — dans le sillage de Nicolas Sarkozy — à la Conférence internationale pour la reconstruction de la bande de Gaza qui se tenait le 2 mars à Charm el-Cheikh (Égypte).

Soixante-quinze délégations venues du monde entier, des chefs d'État, des ministres, la promesse d'une donation pour la reconstruction de Gaza de 4,5 milliards de dollars, le traditionnel ballet de limousines, de 4x4 et d'officiels. Dans l'extrait vidéo, on reconnaît Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, Xavier Bertrand, le nouveau secrétaire général de l'UMP (que fait-il là ?) et... dossiers sous le bras, Étienne Mougeotte, le directeur des rédactions du groupe Le Figaro.

Un mélange des genres qui a permis à certains commentateurs de dauber sur « l'intégration » d'un nouveau ministre au gouvernement sans que personne n'en soit averti.

Buzz sur la toile. Mais du côté de la rédaction du Figaro, les réactions sont moins vives qu'en septembre 2008, lors de l'escapade moscovite d'Étienne Mougeotte sur Air Dassault [voir « La visite faite à Poutine », ci-après]. Peut-être s'habituent-ils ?

Ainsi, Patrick Bèle, délégué SNJ du journal, interrogé par Régis Soubrouillard pour Marianne2, tente de minimiser l'affaire en déclarant : « J'ai l'impression que ce n'est rien d'autre qu'un bon gag de Canal-Plus. Il y avait peut-être des journalistes dans les autres délégations, c'est une image qui ne dit pas grand-chose, qui ne montre rien. Cela n'a rien à voir avec son déplacement à Moscou avec Dassault qui allait négocier des contrats.»


La visite faite à Poutine


Étienne Mougeotte n'en est pas à son coup d'essai.
Mi-septembre 2008, il s'était rendu en Russie dans l'avion personnel de Serge Dassault, président et actionnaire majoritaire de la Socpresse, société qui détient le quotidien Le Figaro. Serge Dassault désirait rencontrer Vladimir Poutine, le Premier ministre russe, pour l'entretenir de l'éventuel rachat par des Russes de l'usine Altis (spécialisée dans la fabrication de composants électroniques) située sur la commune de Corbeil-Essonnes dont il est maire.
Étienne Mougeotte profitait de l'occasion pour réaliser un entretien avec Vladimir Poutine, le 12 septembre 2008 à Sotchi, sur la mer Noire. La journée s'achevant par un dîner réunissant les trois hommes.

Or, l'affaire russe se révèle doublement grave.
Premier point. Dès le mercredi suivant, la société des rédacteurs du Figaro (SDR) réagissait en dénonçant un mélange des genres préjudiciable à l'image d'indépendance du journal.
Un porte-parole de la SDR soulignait à l'AFP : « C'est de nature à entraîner une suspicion et (...) ce n'est pas sain. Nous dénonçons également le fait que notre correspondant à Moscou n'avait pas été prévenu, seul point sur lequel Étienne Mougeotte reconnaît avoir commis une erreur.»

Caviardage à la Une

Second point. Sylvain Lapoix relevait, sur le site Marianne2, dans un article au titre non équivoque « Plus fort que la Pravda : Le Figaro censure Poutine », qu'Étienne Mougeotte avait caviardé une partie de l'interview de Vladimir Poutine publiée dans l'édition du 13 septembre du Figaro et carrément réécrit les passages un peu trop embarrassant ou pas assez élogieux pour Nicolas Sarkozy à propos de l'action des troupes françaises en Afghanistan et sur l'affaire géorgienne. Article titré sans vergogne : « Nicolas Sarkozy a joué un grand rôle de pacification.»
Dans sa tentative d'explication, sur le site Marianne2, Étienne Mougeotte aura, entre autres, cette défense, assez culottée : «
Ce que M. Poutine a répondu sur l'Afghanistan était extrêmement plat : il a dit que les combats étaient inefficaces, que les bombardements tuaient des civils et est ensuite parti dans une digression sur la lutte contre le trafic de drogue.»
Il semble que
Sylvain Lapoix, de Marianne2, fût alerté sur la « manip » par une blogueuse russophone qui anime le site Le salon où l'on cause, et qui avait comparé la version Figaro avec la version diffusée sur le site officiel du Premier ministre russe.

À la suite de l'
entretien de Sylvain Lapoix-Étienne Mougeotte pour Marianne2, un nouveau post sur le blog Le salon ou l'on cause reviendra sur les justifications d'Étienne Mougeotte et soulèvera quelques questions supplémentaires intéressantes.
Hasard ? Par exemple que l'interview de Vladimir
Poutine intervient à quelques jours du débat à l'Assemblée nationale sur le maintien des troupes française en Afghanistan. Le vote des députés, le 22 septembre 2008, approuvera le maintien des forces armées françaises en Afghanistan.

Mougeotte, un « embedded » frustré

Tout le monde, ou presque, connaît désormais le terme « embedded » accolé à journaliste, en particulier sur les zones de conflit où les journalistes sont intégrés aux troupes armées lorsqu'elles sortent sur le terrain.
La pratique existe depuis fort longtemps, mais elle s'est systématisée au moins depuis la Première Guerre du Golfe, en 1991. L'« embedded » c'est l' « embarqué », « l'intégré », le ballot (au deux sens du terme) qui est trimballé par les autorités, militaires, politiques... et qui diffusera la bonne parole — l'officielle — à son retour. Car l'« embarquement » n'est jamais gratuit et nécessite de faire des compromis, jamais bien loin des compromissions. Et gaffe, dans ce monde-là, on n'aime pas le « chien » qui mord la main qui le nourrit.
Reste que s'il y a
des circonstances qui nécessitent d'être « embarqué » (zone de conflits...), les journalistes doivent garder la main et prévenir toute collusion en définissant, au préalable, les règles du jeu garantissant leur indépendance.

On aura pu constater qu'Étienne Mougeotte aime le « journalisme de terrain », celui des palais nationaux,
des dîners officiels et des tapis rouges. À en croire Éric Conan, qui lui avait consacré en janvier 2009 un long portrait dans le magazine Marianne [1], le directeur des rédactions du groupe Le Figaro caresse le rêve d'appartenir au premier cercle de Nicolas Sarkozy. Et que ce dernier s'y entend à entretenir la frustration tant elle est un moteur puissant de la servilité.


1- Décidément
les journalistes de Marianne s'intéressent beaucoup à Étienne Mougeotte. Il est vrai qu'ils tiennent là « un bon client ».

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